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"Pourquoi offre-t-on des poupées aux filles et des voitures aux garçons? Pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes? Comment expliquer qu'elles effectuent les deux tiers du travail domestique? Pourquoi est-ce si mal vu pour un homme d'être efféminé? Le pouvoir est-il intrinsèquement masculin? Il s'agit là de quelques-unes des nombreuses questions auxquelles s'intéressent les études sur le genre : les différences systématiques entre femmes et hommes sont le résultat d'une construction sociale et non pas le produit d'un déterminisme biologique; l'analyse ne doit pas se limiter à l'étude "d'un" sexe, mais porter sur leurs relations; le genre est un rapport de domination des hommes sur les femmes, dont les modalités et l'intensité sont sans cesse reconfigurées. Ce manuel propose un panorama clair et synthétique des notions et références essentielles des études sur le genre, en les illustrant par de nombreux exemples concrets."-- Quatrième de couverture.
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(Entretien en deux parties avec la sociologue Sirma Bilge) Repolitiser l'intersectionnalité ! Première Partie Sirma Bilge est professeure agrégée au Département de Sociologie de l’Université de Montréal où elle poursuit des travaux sur l’intersectionnalité, les collusions contemporaines entre la gouvernementalité de l'immigration/l'intégration et les politiques de genre et sexualités à partir des perspectives théoriques critiques puisant dans l'intersectionnalité, les approches post-/dé-coloniales, Critical Race Theory et Queer of color critique. Elle est membre élu des conseils exécutifs des comités de recherche de l'Association internationale de sociologie (ISA) sur "Racisme, nationalisme et relations ethniques" (RC05) et "Femmes et société" (RC32), ainsi que l'éditrice associée du Journal of Intercultural Studies. Quelques publications récentes ou à venir sont: Bilge, Sirma (sous évaluation). "Intersectionality Undone: Saving Intersectionality from Feminist Intersectionality Studies", (K. Crenshaw ed.), special issue, Du Bois Review: Social Science Research on Race, Cambridge Journals. Bilge, Sirma (à paraître). "Racialized Governmentality: An Analytics of Accommodation. Reading the Racial Subtext of the Quebecois Accommodation Debate" Politikon. South-African Journal of Political Studies (accepté pour publication). Bilge, Sirma, 2012, "Mapping Quebecois Sexual Nationalism in Times of Crisis of Reasonable Accommodations" Journal of Intercultural Studies 33(3): 303-318. Bilge, Sirma & Paul Scheibelhofer, 2012, "Unravelling the New Politics of Racialised Sexualities: Introduction" Journal of Intercultural Studies 33(3): 255-259. Bilge, Sirma. 2012. "Developing Intersectional Solidarities: A Plea for Queer Intersectionality", in Malinda Smith & Fatima Jaffer (eds), Beyond the Queer Alphabet: Conversations in Gender, Sexuality and Intersectionality. Teaching Equity Matters E-book series, University of Alberta, Canada. http://www.fedcan.ca/en/blog/developing-intersectional-solidarities-plea-queer-intersectionalityx Bilge, Sirma, 2011, "De l’analogie à l’articulation : théoriser la différenciation sociale et l’inégalité complexe", L'Homme et la société, no. 176-177, 2010/2-3, 43-64. Bilge, Sirma, 2010a, "Beyond Subordination vs. Resistance: An Intersectional Approach to the Agency of Veiled Muslim Women", Journal of Intercultural Studies 31(1): 9-28. Bilge, Sirma, 2010b, " 'alors que nous, Québécois, nos femmes sont égales à nous et nous les aimons ainsi' : la patrouille des frontières au nom de l’égalité de genre dans une 'nation' en quête de souveraineté', Sociologie et Sociétés 42(1): 197-226. Bilge, Sirma & Olivier Roy, 2010c, "La discrimination intersectionnelle: naissance et développement d’un concept et les paradoxes de sa mise en application en droit antidiscriminatoire" Canadian Journal of Law and Society 25(1): 51-74. Bilge, Sirma & Ann Denis, 2010d, "Introduction: Women, Intersectionality and Diasporas", Journal of Intercultural Studies 31(1): 1-8. Bilge, Sirma, 2010e, "Recent Feminist Outlooks on Intersectionality", Diogenes no. 225: 58-72 (traduction de l'article publié en français en 2009). Bilge, Sirma, 2009, "Théorisations féministes de l'intersectionnalité", Diogène no. 225, janvier-mars: 158-176. 1) IRESMO : Les théories de l’intersectionnalité constituent un courant théorique important en particulier en Amérique du nord, alors qu’il s’agit d’un champ de recherche encore relativement peu développé en France. Comment définiriez-vous cette notion d’intersectionnalité ? Sirma Bilge : Afin de dégager les contours de ma propre compréhension de l'intersectionnalité ainsi que l'usage que j’en fais, je dois d'abord souligner l'importance que j'accorde à ne pas dissocier la "théorie" de l’action politique, car il s'agit à mes yeux d'un outil de lutte forgé dans l'esprit de l'aphorisme bien connu d'Audre Lorde: 'les outils du maître ne démantèleront jamais la maison du maitre' (master's tools will never dismantle master's house). Il s'agit donc d'une manière de penser et d'agir sur les rapports de domination, et ce au-delà de la dichotomie structure/culture. Profondément ancrée dans une perspective de justice sociale, sa prémisse de base, désormais bien connue du public averti, est le caractère enchevêtré des rapports de pouvoir, qui sont toujours dotés des spécificités spatio-temporelles, laquelle s'accompagne d'un engagement normatif de la prise en compte de ces imbrications tant dans la recherche que dans l'activisme, la diffusion des savoirs, la pédagogie, l'intervention auprès des pouvoirs publics (analyse des politiques publiques, des outils d'intervention) etc.. La dimension proprement scientifique de l'intersectionnalité doit rester, à mes yeux, étroitement lié à ce côté pragmatique et politique. Je dois insister sur ce point dans la mesure où je note une dérive de l'intersectionnalité, particulièrement marquée en contexte européen, vers un académisme abstrait, qui se complait dans des discussions d'ordre purement théorique voire méta-théorique sans prise avec la recherche empirique, ni avec ce qui se passe dans les milieux de pratique où l'intersectionnalité est (ré)interprétée et déployée à des fins diverses et pas forcément contre-hégémoniques1. Bien entendu, cette dérive doit être en soi un objet d'analyse intersectionnel qui interrogerait les conditions matérielles et idéelles qui sous-tendent son "introduction" (qui requiert souvent une traduction) dans un nouveau contexte national. Il faut demander quels sont les acteurs locaux qui bénéficient (sur le plan de leur carrière) de cette "introduction", quels savoirs locaux se trouvent légitimés par cette "nouveauté" et quels acteurs locaux et savoirs locaux se trouvent exclus ou marginalisés. Aussi, faut-il interroger les rapports de force en jeu dans la sélection même des auteurs et textes à introduire/traduire, qui seront en quelque sorte canonisés, mais aussi fossilisés du fait d'une réception académique ambivalente qui les honore et les neutralise politiquement d'un même souffle.2 Face à une circulation accrue et à grande échelle de l'intersectionnalité, qui ne se passe pas sans opportunisme, il me paraît indispensable de se pencher sur ces politiques d'introduction et de traduction, qui dans bien des contextes participent à la dépolitisation et au blanchissement de l'intersectionnalité.3 Ces pratiques d'appropriation et de détournement qui neutralisent l'intersectionnalité sur le plan politique sont devenues une préoccupation centrale pour moi, laquelle marquera, vous le constaterez, les réponses que je donnerai à vos questions. Quand en tant qu'universitaire étranger, on est invité à intervenir dans les débats sur l'intersectionnalité qui se déroulent dans un contexte national dont les enjeux locaux nous échappent en grande partie, il me semble qu'il faut être doublement attentif. Dans quel sens cette intervention sera-t-elle utilisée? Dans un sens qui empower ou disempower des savoirs subjugués et desacteurs marginalisés? Je crois avoir développé ces dernières années, à force d'expériences révélatrices, un plus grand sens de responsabilité et d'accountability (imputabilité) quant aux effets de mes propres interventions, si de façon involontaire, elles contribuent ou non à dépolitiser l'intersectionnalité et à la blanchir. Je pense qu'il faut repolitiser l'intersectionnalité, renouveler l'engagement normatif à son fondement comme praxis politique et confronter les tendances dominant les débats dans certains cercles universitaires qui l'éviscèrent littéralement de son potentiel politique. Il est d'ailleurs fort éloquent que deux figures clés de l'intersectionnalité, Kimberlé Crenshaw et Patricia Hill-Collins, avouent ne plus reconnaître ce qu'est devenu dans ces débats européens l'outil qu'elles ont contribué à forger avec d’autres féministes de couleur.4 Si l'intersectionnalité à l'européenne est devenue méconnaissable aux yeux de celles que nous considérons à juste titre comme les architectes de cette approche, cette situation découle pour une bonne partie de l'évacuation de la pensée critique raciale de l'appareillage de l'intersectionnalité dans ce contexte où elle est surtout utilisée au sein des gender studies encore largement dominé par un féminisme académique et institutionnalisé ne problématisant pas son habitus racial, le privilège blanc – un contexte caractéristique de ce que David Theo Goldberg nomme l'européanisation raciale où la race est le fondement tacite. Pour Goldberg, l'Europe commence à exemplifier "ce qui se produit lorsqu'aucune catégorie n'est disponible pour nommer une série d'expériences qui sont liées dans leur production ou du moins dans leur modulation historique et symbolique, de façon expérientielle et politique, aux arrangements et engagements raciaux"5. En prenant le cas de la France par exemple où mon intervention sera diffusée, si urgence est, elle se trouve à mes yeux non pas dans la question de oui ou non l'intersectionnalité participe à une fragmentation prétendue des luttes sociales en raison du travail de déconstruction et/ou des-essentialisation opérées par des théories poststructuralistes, mais bien comment elle peut servir pour sortir de l'impasse des luttes antiracistes libérales et de leur corruption actuelle par une politique de la droite ultra désormais devenue mainstream qui véhicule à grande échelle le mythe d'un "racisme anti-blanc", appelé "reverse racism" dans le contexte anglophone. Je suis ébranlée par la situation raciale actuelle où par exemple à l'Université de Texas à Austin, une étudiante blanche porte en toute légalité plainte contre l'administration universitaire en alléguant d'être victime de racisme anti-blanc, d'être discriminée en tant que blanche car elle ne peut pas profiter des mesures d'équité destinées aux groupes "historiquement désavantagés", alors même que dans la même université, des attaques racistes récurrentes, les ballons remplis à l'eau de javel, ciblent les étudiants non-blancs, ne conduisent pas à une sensibilisation générale que nous sommes loin d'être dans l'époque supposément post-raciale. La France nous fournit aussi matière à indignation, ce qui n'est pas pour moi une posture non scientifique, bien au contraire. Ainsi un ministre peut parler de l'inégalité des civilisations en toute impunité alors que des figures de lutte contre le racisme anti-musulman comme Houria Bouteldja ou Saïd Bouamama sont traduits en justice pour racisme anti-blanc. L'intersectionnalité, dans sa version non blanchie où l'analyse des rapports sociaux de race n'est pas optionnelle, rend possible une praxis antiraciste radicale qui s'impose dans ces contextes de déni ou de détournement. 2) IRESMO : Une des controverses qui anime ce champ de recherche consiste à s’interroger sur le fait de savoir si l’on doit le situer dans la continuité des théories post-structuralistes insistant sur les dimensions culturelles ou dans la filiation de la théorie marxiste centrée sur les rapports sociaux économiques. Comment vous situez-vous par rapport à cette question ? Sirma Bilge : Je ne suis pas convaincue que cette question soit une controverse centrale du champ d'études intersectionnelles du moins pas dans le contexte nord-américain et britannique où j'ai le plus de contacts. Recadrer l'intersectionnalité de telle façon qu'elle serait traversée, structurée par cette opposition entre le discursif et le matériel (la culture et l'économie) c'est faire fi de tout un pan de la littérature qui l'a dépassée. C'est aussi couper l'herbe sous le pied des groupes et mouvements de subalternes qui l'ont aussi dépassé dans leurs actions fondées sur les politiques de positionnalité (que l'on aurait tort de disqualifier comme identitaire ou essentialiste) mais luttant contre les discriminations structurelles: le PIR (Parti des Indigènes de la République) en est un exemple à mes yeux. Je refuse d'aligner ma pensée à ces dichotomies doxiques. Une manière non doxique et peut-être contre-hégémonique d'aborder cette question serait de ne pas la lire sous le signe de la controverse mais de la pluralité des perspectives qui se prévalent de l'intersectionnalité, et surtout de faire voir la littérature foisonnante qui dépasse cette dichotomie, en combinant dans leurs analyses non seulement le structurel et le culturel, mais aussi la dimension disciplinaire (qui doit beaucoup à Foucault et aux perspectives critiques de biopolitique et de gouvernementalité) et la dimension interpersonnelle d'inspiration plus interactionniste. On trouve ainsi dans les travaux de Patricia Hill-Collins, un analytique du pouvoir complexe, comprenant quatre domaines: structurel, culturel (ou hégémonique), disciplinaire et interpersonnel.6 Je ne peux discuter en détail ici de l'état avancé de la littérature intersectionnelle sur cette question, lequel est visiblement mal connu en France, si on se fie aux portraits approximatifs et caricaturaux proposés qui font faire/dire à l'intersectionnalité ce qu'elle ne fait/dit pas (par exemple réduire la classe à une catégorie identitaire ou encore comme catégorie discursive de classement); je me contenterai de faire allusion à un des sous-thèmes de cette vaste littérature, la justice reproductive, et de citer quelques ouvrages dont les analyses intersectionnelles dépassent de façon très convaincante et enrichissante le faux dilemme culture/structure: Dorothy Roberts Killing the Black Body: Race, Reproduction and the Meaning of Liberty (Pantheon Books, 1997); Ange-Marie Hancock The Politics of Disgust: The Public Identity of the Welfare Queen (New York University Press, 2004), et le livre magistral de Harriet A. Washington qui ne porte qu'en partie sur la question des droits reproductifs, Medical Apartheid: The Dark History of Medical Experimentation from Colonial Times to the Present (Doubleday, 2006). Les analyses proposées dans ces travaux allient l'exploitation (dans la plantation d'antan comme sur le marché du temps présent, en liberté ou en captivité –en prison) et la domination juridique, sociopolitique et culturelle –par exemple les liens entre les discours et représentations hégémoniques de la sexualité prétendue pathologique (hypersexualité) des jeunes femmes noires, de leur maternité supposée indigne, etc. sur les politiques et les pratiques d'aide sociale (welfare) qui les ciblent, sur le travail forcé, la stérilisation imposée... La complexité de cette littérature mérite d'être connue et reconnue pour en finir avec cette opposition (matériel/symbolique) qui confine la pensée dans un débat entre académiques où chacun s'enrôle dans une défense acharnée de son camp et n'hésite pas à caricaturer le camp adverse par le biais d'arguments de type "homme de paille" et ce dans une imprécision totale sans jamais clarifier qui sont au juste les auteurs/travaux illustrant la pensée dénoncée. L'intersectionnalité n'est pas la seule perspective à se trouver de cette façon sur la sellette; les idées reçues sur "queer" abondent aussi et sont véhiculées par les chercheur-e-s qui le taxent d'antimatérialisme, ce qui fait preuve d'une méconnaissance profonde de l'état des savoirs, par exemple du courant Queer of color critique qui s'inscrit dans une analyse foncièrement matérialiste. 3) IRESMO : Si les théories de l’intersectionnalité ont déconstruit l’unité des classes sociales, en particulier celle de la classe de sexe, pour autant peut-on considérer selon vous qu’elles conduisent à re-substantialiser des identités minoritaires par le biais de politiques de la reconnaissance ? A l’inverse, la déconstruction radicale des identités ne conduirait-elle pas à un émiettement sans fin des revendications et des luttes ? Sirma Bilge : La déconstruction des prétendues unités n'a rien de déplorable, et l'intersectionnalité n'est pas la seule à avoir contribué à cela: l'épistémologie féministe a bel et bien contribué à déconstruire l'unité (du sujet) de la connaissance avec la théorie du point de vue (standpoint theory) et des connaissances situées, le postcolonialisme a problématisé à juste titre les politiques de la voix et de la représentation (Qui parle? Qui est entendu? Qui est le sujet connaissant? Qui est l'objet de connaissance et de représentation?). Un premier point qui mérite d'être soulevé et confronté est que cet argument d'émiettement sans fin qui est fréquemment posé n'expose jamais son propre point d'énonciation (speaking position). C'est la lutte de qui au juste? N'y a-t-il pas dans cela un argument anxieux qui brouille sa propre politique de localisation et dissimule les rapports de force en jeu? En admettant qu'il y a émiettement, il y a lieu de demander pourquoi celui-ci serait sans fin. Les rapports de pouvoir socialement significatifs sont-ils sans fin? La réponse est non. Force est de constater que la "liste" des axes dont les analyses intersectionnelles tiennent compte depuis deux décennies est somme toute assez stable. Sans vouloir offenser qui que ce soit, je dois tout de même signaler que cette idée d'un émiettement sans fin contribue à véhiculer une vision caricaturale de l'intersectionnalité, l'image d'une liste de shopping qui finirait par un etc tourné en dérision, qui l'amalgame avec une déconstruction radicale qu'elle n'a jamais été, ni prétendue de l'être. Il faut à mon avis souligner à cet égard que l'intersectionnalité n'est pas à confondre avec un anti-essentialisme sans nuance, refusant catégoriquement tout essentialisme, fusse-t-il stratégique. Il est lieu de rappeler que les origines de l'intersectionnalité sont étroitement liées aux efforts de créer une position de sujet politique viable pour les membres des groupes qui ne sont pas représentés ou sont mal représentés dans les mouvements progressistes existants. Une posture anti-essentialiste sans nuance est très peu compatible avec la praxis intersectionnelle qui distingue les usages contre-hégémoniques des identités par les groupes opprimés des usages hégémoniques des identités. Par ailleurs, comme Kimberlé Crenshaw nous le rappelle déjà en 1991 l'anti-essentialisme ne sert pas forcément des finalités progressistes et de justice sociale et peut très bien être mis au service des forces réactionnaires protectrices des privilèges, comme c'est le cas dans la délégitimation par la droite républicaine des politiques d'accès à l'égalité (affirmative action).7 Ainsi, l'anti-essentialisme peut très bien être un outil de délégitimation des mouvements de justice sociale qui mobilisent des identités pour formuler leurs demandes, ainsi que des politiques d'équité. L'intersectionnalité ne doit pas être confondue avec cette posture. Un tel amalgame peut aussi conduire à d'autres formes de délégitimation. Je donnerai en exemple une situation que j'ai observée lors d'une conférence où une chercheure française blanche affirme dans sa présentation la non pertinence de la culture, de la différence culturelle, dans les recherches et les politiques luttant contre les violences faites aux femmes. Elle insiste sur les dangers de l'essentialisme culturel qui dériverait dangereusement vers le culturalisme et le racisme culturel, si on se focalise sur la culture de l'autre, du minoritaire. Pendant la période d'échange, elle reçoit deux réactions, avec beaucoup de prévenance, de la part de deux chercheures africaines, du Cameroun et du Sénégal. Celles-ci font valoir que la violence faite aux femmes dans leurs sociétés est profondément ancrée dans la culture qui sert dans beaucoup de cas à légitimer la violence. Selon elles, écarter cette fonction normalisatrice de la violence que la culture joue dans ce contexte n'aiderait en rien aux luttes de ces femmes. La conférencière répond, comme si ces dernières n'étaient pas intervenues. Elle répète sa ligne argumentaire, que la prise en compte de la culture conduit inévitablement à l'essentialisme culturel et aux stéréotypes racistes. Elle se prévaut de la perspective intersectionnelle ou sa proche parenté française, ce qu'elle nomme l'articulation des rapports sociaux, comme le principe qui guide son étude. Cet échange me laisse perplexe; je me demande quand au juste l'intersectionnalité est devenue un obstacle à entendre l'autre, alors même qu'elle était supposée améliorer notre capacité d'écoute de l'autre ou comme dirait Les Back, notre "oreille sociologique". Utiliser l'intersectionnalité pour dire que tout intérêt porté à la culture ouvre la dérive vers le culturalisme est faux. Il existe des travaux intersectionnels qui problématisent la culture majoritaire aussi, par exemple "la culture du viol" (par exemple dans les campus universitaires aux Etats-Unis) comme climat dominant qui conduit à blâmer la victime (par son comportement, par ses vêtements, elle l'aurait cherché), à minimiser, voire à excuser, le viol. La question de l'émiettement des luttes en pose aussi une autre, celle de la construction des solidarités viables entre les luttes. Pour beaucoup de chercheurs et militants qui s'intéressent à cette question, le versant politique de l'intersectionnalité est coalition politics , les politiques de coalition, un sujet sur lequel il y a beaucoup d'écrits. La question est épineuse et ne date pas d'hier; elle renvoie aux rapports de force qui sont au cœur de la représentation. L'idée des solidarités intersectionnelles poursuit un idéal des collaborations non-oppressives et problématise les déclarations d'ouverture, d'inclusion et de "générosité": qui est appelé à joindre le mouvement ? Selon les termes établis par qui? En d'autres mots, sur le dos de qui sont construites les coalitions? L'anthologie bien connue This Bridge Called My Back, des féministes de couleur (Chicana, Black, Latina, Native American, Asian American) publiée en 1981 (Persephone Press) fait directement allusion à cela; le poème intitulé "The Bridge Poem" de Donna Kate Rushin (voir le dernier numéro des Cahiers du CEDREF, dirigé par Paola Bacchetta et Jules Falquet, pour une traduction en français) capte magistralement le poids inégalement partagé, le travail émotionnel (emotional labour) des coalitions. Cette question n'est pas à débattre entre académiques mais à travailler concrètement à travers et au-delà des divisions des mouvements, des séparations et hiérarchisations des milieux académiques et militants. Elle implique une éthique d'alliance et de coalition non-oppressive, une vigilance permanente et autocritique des pratiques qui ne sont pas à l'abri de mauvaises représentations, de confiscations de la parole, d'inclusion instrumentale (tokenism) etc., aussi bien intentionnées qu'elles puissent être. Les exemples sont multiples –j'en ai discuté de quelques uns dans "Developing Intersectional Solidarities" (2012, voir le lien internet). Je suis impliquée dans des réseaux regroupant des chercheurEs et des militantEs et je tâche de contribuer à une meilleure compréhension des enjeux qui entourent la question des politiques de coalition en faisant entrer, avec d'autres, ces problématiques (vues comme trop) militantes dans les lieux où elles ne figurent pas d'habitude. J'ai par exemple organisé cette année deux sessions regroupant militants et universitaires.8 Lire la deuxième partie de l'entretien 1 Voir par exemple l'étude empiriquement bien appuyée de Jane Ward (Respectably Queer: Diversity Culture in LGBT Activist Organizations, Vanderbilt UP, 2007) sur la cooptation de l'intersectionnalité pour accroitre la compétitivité de son organisme dans le contexte actuel fusionnant les valeurs économiques néolibérales avec un programme progressiste de diversité/équité libéral fondé sur les droits de la personne. 2 Pour un examen détaillé de cette double dynamique, voir prochainement Bilge (sous évaluation). 3 Voir Bilge (sous évaluation) ainsi que ma conférence en plénière "Intersectionnalité à l'heure et à l'épreuve de la culture de diversité" donnée dans le cadre du 6ème Congrès international des recherches féministes francophones, Imbrication des rapports de pouvoir : Discriminations et privilèges de genre, de race, de classe et de sexualité. Université de Lausanne, 29 août-2 septembre 2012. Lausanne (qui doit être mise en ligne). 4 Voir par exemple Crenshaw, Kimberlé. 2011. "Postscript", dans Helma Lutz, Maria Teresa Herrera Vivar & Linda Supik (eds). Framing Intersectionality. Debates on a Multi-Faceted Concept in Gender Studies. Ashgate. Pp. 221-233; Patricia Hill-Collins communication personnelle avec l'auteure (septembre 2012), aussi pour une brève discussion de la transformation de l'intersectionnalité dans l'académie néolibérale, voir Collins, Patricia Hill. 2009. "Foreword. Emerging Intersections: Building Knowledge and Transforming Institutions!", IN B. Thornton-Dill et R. Enid-Zambana (eds) Emerging Intersections. Race, Class and Gender in Theory, Policy and Practice,. New Brunswick, NJ: Rutgers UP, VII-XIII. 5 Goldberg, David Theo, 2009. The Threat of Race. Reflections on Racial Neoliberalism (Wiley-Blackwell), p. 154, ma traduction. 6 Voir Collins, Patricia Hill, 2000, Black Feminist Thought: Knowledge, Consciousness, and the Politics of Empowerment. 2nd ed. Routledge; 2009, Another Kind of Public Education. Race, Schools, the Media and Democratic Possibilities. Beacon Press. 7 Voir Crenshaw, Kimberlé. 1991. "Mapping the Margins: Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color." Stanford Law Review, vol. 43: 1241-1299. 8 Par exemple, le panel "Confronting the racial habitus of multi-issue politics and of being 'white allies' " que j'ai organisé dans le cadre de la 9ème conférence internationale Crossroads in Cultural Studies (Paris, 2-6 juillet 2012), ou encore la session "The ethics of intersectional politics and the challenges to alliances and coalition building in and outside academe" que j'ai organisé dans le cadre de: 2nd International Sociological Association’s World Forum of Sociology World Forum of Sociology: Social Justice and Democratization (Buenos Aires, Argentine, 1-4 Août 2012) qui a permis une discussion de ces questions avec des perspectives Nord/Sud.
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(Entretien en deux parties avec la sociologue Sirma Bilge) Repolitiser l'intersectionnalité ! Première Partie Sirma Bilge est professeure agrégée au Département de Sociologie de l’Université de Montréal où elle poursuit des travaux sur l’intersectionnalité, les collusions contemporaines entre la gouvernementalité de l'immigration/l'intégration et les politiques de genre et sexualités à partir des perspectives théoriques critiques puisant dans l'intersectionnalité, les approches post-/dé-coloniales, Critical Race Theory et Queer of color critique. Elle est membre élu des conseils exécutifs des comités de recherche de l'Association internationale de sociologie (ISA) sur "Racisme, nationalisme et relations ethniques" (RC05) et "Femmes et société" (RC32), ainsi que l'éditrice associée du Journal of Intercultural Studies. Quelques publications récentes ou à venir sont: Bilge, Sirma (sous évaluation). "Intersectionality Undone: Saving Intersectionality from Feminist Intersectionality Studies", (K. Crenshaw ed.), special issue, Du Bois Review: Social Science Research on Race, Cambridge Journals. Bilge, Sirma (à paraître). "Racialized Governmentality: An Analytics of Accommodation. Reading the Racial Subtext of the Quebecois Accommodation Debate" Politikon. South-African Journal of Political Studies (accepté pour publication). Bilge, Sirma, 2012, "Mapping Quebecois Sexual Nationalism in Times of Crisis of Reasonable Accommodations" Journal of Intercultural Studies 33(3): 303-318. Bilge, Sirma & Paul Scheibelhofer, 2012, "Unravelling the New Politics of Racialised Sexualities: Introduction" Journal of Intercultural Studies 33(3): 255-259. Bilge, Sirma. 2012. "Developing Intersectional Solidarities: A Plea for Queer Intersectionality", in Malinda Smith & Fatima Jaffer (eds), Beyond the Queer Alphabet: Conversations in Gender, Sexuality and Intersectionality. Teaching Equity Matters E-book series, University of Alberta, Canada. http://www.fedcan.ca/en/blog/developing-intersectional-solidarities-plea-queer-intersectionalityx Bilge, Sirma, 2011, "De l’analogie à l’articulation : théoriser la différenciation sociale et l’inégalité complexe", L'Homme et la société, no. 176-177, 2010/2-3, 43-64. Bilge, Sirma, 2010a, "Beyond Subordination vs. Resistance: An Intersectional Approach to the Agency of Veiled Muslim Women", Journal of Intercultural Studies 31(1): 9-28. Bilge, Sirma, 2010b, " 'alors que nous, Québécois, nos femmes sont égales à nous et nous les aimons ainsi' : la patrouille des frontières au nom de l’égalité de genre dans une 'nation' en quête de souveraineté', Sociologie et Sociétés 42(1): 197-226. Bilge, Sirma & Olivier Roy, 2010c, "La discrimination intersectionnelle: naissance et développement d’un concept et les paradoxes de sa mise en application en droit antidiscriminatoire" Canadian Journal of Law and Society 25(1): 51-74. Bilge, Sirma & Ann Denis, 2010d, "Introduction: Women, Intersectionality and Diasporas", Journal of Intercultural Studies 31(1): 1-8. Bilge, Sirma, 2010e, "Recent Feminist Outlooks on Intersectionality", Diogenes no. 225: 58-72 (traduction de l'article publié en français en 2009). Bilge, Sirma, 2009, "Théorisations féministes de l'intersectionnalité", Diogène no. 225, janvier-mars: 158-176. 1) IRESMO : Les théories de l’intersectionnalité constituent un courant théorique important en particulier en Amérique du nord, alors qu’il s’agit d’un champ de recherche encore relativement peu développé en France. Comment définiriez-vous cette notion d’intersectionnalité ? Sirma Bilge : Afin de dégager les contours de ma propre compréhension de l'intersectionnalité ainsi que l'usage que j’en fais, je dois d'abord souligner l'importance que j'accorde à ne pas dissocier la "théorie" de l’action politique, car il s'agit à mes yeux d'un outil de lutte forgé dans l'esprit de l'aphorisme bien connu d'Audre Lorde: 'les outils du maître ne démantèleront jamais la maison du maitre' (master's tools will never dismantle master's house). Il s'agit donc d'une manière de penser et d'agir sur les rapports de domination, et ce au-delà de la dichotomie structure/culture. Profondément ancrée dans une perspective de justice sociale, sa prémisse de base, désormais bien connue du public averti, est le caractère enchevêtré des rapports de pouvoir, qui sont toujours dotés des spécificités spatio-temporelles, laquelle s'accompagne d'un engagement normatif de la prise en compte de ces imbrications tant dans la recherche que dans l'activisme, la diffusion des savoirs, la pédagogie, l'intervention auprès des pouvoirs publics (analyse des politiques publiques, des outils d'intervention) etc.. La dimension proprement scientifique de l'intersectionnalité doit rester, à mes yeux, étroitement lié à ce côté pragmatique et politique. Je dois insister sur ce point dans la mesure où je note une dérive de l'intersectionnalité, particulièrement marquée en contexte européen, vers un académisme abstrait, qui se complait dans des discussions d'ordre purement théorique voire méta-théorique sans prise avec la recherche empirique, ni avec ce qui se passe dans les milieux de pratique où l'intersectionnalité est (ré)interprétée et déployée à des fins diverses et pas forcément contre-hégémoniques1. Bien entendu, cette dérive doit être en soi un objet d'analyse intersectionnel qui interrogerait les conditions matérielles et idéelles qui sous-tendent son "introduction" (qui requiert souvent une traduction) dans un nouveau contexte national. Il faut demander quels sont les acteurs locaux qui bénéficient (sur le plan de leur carrière) de cette "introduction", quels savoirs locaux se trouvent légitimés par cette "nouveauté" et quels acteurs locaux et savoirs locaux se trouvent exclus ou marginalisés. Aussi, faut-il interroger les rapports de force en jeu dans la sélection même des auteurs et textes à introduire/traduire, qui seront en quelque sorte canonisés, mais aussi fossilisés du fait d'une réception académique ambivalente qui les honore et les neutralise politiquement d'un même souffle.2 Face à une circulation accrue et à grande échelle de l'intersectionnalité, qui ne se passe pas sans opportunisme, il me paraît indispensable de se pencher sur ces politiques d'introduction et de traduction, qui dans bien des contextes participent à la dépolitisation et au blanchissement de l'intersectionnalité.3 Ces pratiques d'appropriation et de détournement qui neutralisent l'intersectionnalité sur le plan politique sont devenues une préoccupation centrale pour moi, laquelle marquera, vous le constaterez, les réponses que je donnerai à vos questions. Quand en tant qu'universitaire étranger, on est invité à intervenir dans les débats sur l'intersectionnalité qui se déroulent dans un contexte national dont les enjeux locaux nous échappent en grande partie, il me semble qu'il faut être doublement attentif. Dans quel sens cette intervention sera-t-elle utilisée? Dans un sens qui empower ou disempower des savoirs subjugués et desacteurs marginalisés? Je crois avoir développé ces dernières années, à force d'expériences révélatrices, un plus grand sens de responsabilité et d'accountability (imputabilité) quant aux effets de mes propres interventions, si de façon involontaire, elles contribuent ou non à dépolitiser l'intersectionnalité et à la blanchir. Je pense qu'il faut repolitiser l'intersectionnalité, renouveler l'engagement normatif à son fondement comme praxis politique et confronter les tendances dominant les débats dans certains cercles universitaires qui l'éviscèrent littéralement de son potentiel politique. Il est d'ailleurs fort éloquent que deux figures clés de l'intersectionnalité, Kimberlé Crenshaw et Patricia Hill-Collins, avouent ne plus reconnaître ce qu'est devenu dans ces débats européens l'outil qu'elles ont contribué à forger avec d’autres féministes de couleur.4 Si l'intersectionnalité à l'européenne est devenue méconnaissable aux yeux de celles que nous considérons à juste titre comme les architectes de cette approche, cette situation découle pour une bonne partie de l'évacuation de la pensée critique raciale de l'appareillage de l'intersectionnalité dans ce contexte où elle est surtout utilisée au sein des gender studies encore largement dominé par un féminisme académique et institutionnalisé ne problématisant pas son habitus racial, le privilège blanc – un contexte caractéristique de ce que David Theo Goldberg nomme l'européanisation raciale où la race est le fondement tacite. Pour Goldberg, l'Europe commence à exemplifier "ce qui se produit lorsqu'aucune catégorie n'est disponible pour nommer une série d'expériences qui sont liées dans leur production ou du moins dans leur modulation historique et symbolique, de façon expérientielle et politique, aux arrangements et engagements raciaux"5. En prenant le cas de la France par exemple où mon intervention sera diffusée, si urgence est, elle se trouve à mes yeux non pas dans la question de oui ou non l'intersectionnalité participe à une fragmentation prétendue des luttes sociales en raison du travail de déconstruction et/ou des-essentialisation opérées par des théories poststructuralistes, mais bien comment elle peut servir pour sortir de l'impasse des luttes antiracistes libérales et de leur corruption actuelle par une politique de la droite ultra désormais devenue mainstream qui véhicule à grande échelle le mythe d'un "racisme anti-blanc", appelé "reverse racism" dans le contexte anglophone. Je suis ébranlée par la situation raciale actuelle où par exemple à l'Université de Texas à Austin, une étudiante blanche porte en toute légalité plainte contre l'administration universitaire en alléguant d'être victime de racisme anti-blanc, d'être discriminée en tant que blanche car elle ne peut pas profiter des mesures d'équité destinées aux groupes "historiquement désavantagés", alors même que dans la même université, des attaques racistes récurrentes, les ballons remplis à l'eau de javel, ciblent les étudiants non-blancs, ne conduisent pas à une sensibilisation générale que nous sommes loin d'être dans l'époque supposément post-raciale. La France nous fournit aussi matière à indignation, ce qui n'est pas pour moi une posture non scientifique, bien au contraire. Ainsi un ministre peut parler de l'inégalité des civilisations en toute impunité alors que des figures de lutte contre le racisme anti-musulman comme Houria Bouteldja ou Saïd Bouamama sont traduits en justice pour racisme anti-blanc. L'intersectionnalité, dans sa version non blanchie où l'analyse des rapports sociaux de race n'est pas optionnelle, rend possible une praxis antiraciste radicale qui s'impose dans ces contextes de déni ou de détournement. 2) IRESMO : Une des controverses qui anime ce champ de recherche consiste à s’interroger sur le fait de savoir si l’on doit le situer dans la continuité des théories post-structuralistes insistant sur les dimensions culturelles ou dans la filiation de la théorie marxiste centrée sur les rapports sociaux économiques. Comment vous situez-vous par rapport à cette question ? Sirma Bilge : Je ne suis pas convaincue que cette question soit une controverse centrale du champ d'études intersectionnelles du moins pas dans le contexte nord-américain et britannique où j'ai le plus de contacts. Recadrer l'intersectionnalité de telle façon qu'elle serait traversée, structurée par cette opposition entre le discursif et le matériel (la culture et l'économie) c'est faire fi de tout un pan de la littérature qui l'a dépassée. C'est aussi couper l'herbe sous le pied des groupes et mouvements de subalternes qui l'ont aussi dépassé dans leurs actions fondées sur les politiques de positionnalité (que l'on aurait tort de disqualifier comme identitaire ou essentialiste) mais luttant contre les discriminations structurelles: le PIR (Parti des Indigènes de la République) en est un exemple à mes yeux. Je refuse d'aligner ma pensée à ces dichotomies doxiques. Une manière non doxique et peut-être contre-hégémonique d'aborder cette question serait de ne pas la lire sous le signe de la controverse mais de la pluralité des perspectives qui se prévalent de l'intersectionnalité, et surtout de faire voir la littérature foisonnante qui dépasse cette dichotomie, en combinant dans leurs analyses non seulement le structurel et le culturel, mais aussi la dimension disciplinaire (qui doit beaucoup à Foucault et aux perspectives critiques de biopolitique et de gouvernementalité) et la dimension interpersonnelle d'inspiration plus interactionniste. On trouve ainsi dans les travaux de Patricia Hill-Collins, un analytique du pouvoir complexe, comprenant quatre domaines: structurel, culturel (ou hégémonique), disciplinaire et interpersonnel.6 Je ne peux discuter en détail ici de l'état avancé de la littérature intersectionnelle sur cette question, lequel est visiblement mal connu en France, si on se fie aux portraits approximatifs et caricaturaux proposés qui font faire/dire à l'intersectionnalité ce qu'elle ne fait/dit pas (par exemple réduire la classe à une catégorie identitaire ou encore comme catégorie discursive de classement); je me contenterai de faire allusion à un des sous-thèmes de cette vaste littérature, la justice reproductive, et de citer quelques ouvrages dont les analyses intersectionnelles dépassent de façon très convaincante et enrichissante le faux dilemme culture/structure: Dorothy Roberts Killing the Black Body: Race, Reproduction and the Meaning of Liberty (Pantheon Books, 1997); Ange-Marie Hancock The Politics of Disgust: The Public Identity of the Welfare Queen (New York University Press, 2004), et le livre magistral de Harriet A. Washington qui ne porte qu'en partie sur la question des droits reproductifs, Medical Apartheid: The Dark History of Medical Experimentation from Colonial Times to the Present (Doubleday, 2006). Les analyses proposées dans ces travaux allient l'exploitation (dans la plantation d'antan comme sur le marché du temps présent, en liberté ou en captivité –en prison) et la domination juridique, sociopolitique et culturelle –par exemple les liens entre les discours et représentations hégémoniques de la sexualité prétendue pathologique (hypersexualité) des jeunes femmes noires, de leur maternité supposée indigne, etc. sur les politiques et les pratiques d'aide sociale (welfare) qui les ciblent, sur le travail forcé, la stérilisation imposée... La complexité de cette littérature mérite d'être connue et reconnue pour en finir avec cette opposition (matériel/symbolique) qui confine la pensée dans un débat entre académiques où chacun s'enrôle dans une défense acharnée de son camp et n'hésite pas à caricaturer le camp adverse par le biais d'arguments de type "homme de paille" et ce dans une imprécision totale sans jamais clarifier qui sont au juste les auteurs/travaux illustrant la pensée dénoncée. L'intersectionnalité n'est pas la seule perspective à se trouver de cette façon sur la sellette; les idées reçues sur "queer" abondent aussi et sont véhiculées par les chercheur-e-s qui le taxent d'antimatérialisme, ce qui fait preuve d'une méconnaissance profonde de l'état des savoirs, par exemple du courant Queer of color critique qui s'inscrit dans une analyse foncièrement matérialiste. 3) IRESMO : Si les théories de l’intersectionnalité ont déconstruit l’unité des classes sociales, en particulier celle de la classe de sexe, pour autant peut-on considérer selon vous qu’elles conduisent à re-substantialiser des identités minoritaires par le biais de politiques de la reconnaissance ? A l’inverse, la déconstruction radicale des identités ne conduirait-elle pas à un émiettement sans fin des revendications et des luttes ? Sirma Bilge : La déconstruction des prétendues unités n'a rien de déplorable, et l'intersectionnalité n'est pas la seule à avoir contribué à cela: l'épistémologie féministe a bel et bien contribué à déconstruire l'unité (du sujet) de la connaissance avec la théorie du point de vue (standpoint theory) et des connaissances situées, le postcolonialisme a problématisé à juste titre les politiques de la voix et de la représentation (Qui parle? Qui est entendu? Qui est le sujet connaissant? Qui est l'objet de connaissance et de représentation?). Un premier point qui mérite d'être soulevé et confronté est que cet argument d'émiettement sans fin qui est fréquemment posé n'expose jamais son propre point d'énonciation (speaking position). C'est la lutte de qui au juste? N'y a-t-il pas dans cela un argument anxieux qui brouille sa propre politique de localisation et dissimule les rapports de force en jeu? En admettant qu'il y a émiettement, il y a lieu de demander pourquoi celui-ci serait sans fin. Les rapports de pouvoir socialement significatifs sont-ils sans fin? La réponse est non. Force est de constater que la "liste" des axes dont les analyses intersectionnelles tiennent compte depuis deux décennies est somme toute assez stable. Sans vouloir offenser qui que ce soit, je dois tout de même signaler que cette idée d'un émiettement sans fin contribue à véhiculer une vision caricaturale de l'intersectionnalité, l'image d'une liste de shopping qui finirait par un etc tourné en dérision, qui l'amalgame avec une déconstruction radicale qu'elle n'a jamais été, ni prétendue de l'être. Il faut à mon avis souligner à cet égard que l'intersectionnalité n'est pas à confondre avec un anti-essentialisme sans nuance, refusant catégoriquement tout essentialisme, fusse-t-il stratégique. Il est lieu de rappeler que les origines de l'intersectionnalité sont étroitement liées aux efforts de créer une position de sujet politique viable pour les membres des groupes qui ne sont pas représentés ou sont mal représentés dans les mouvements progressistes existants. Une posture anti-essentialiste sans nuance est très peu compatible avec la praxis intersectionnelle qui distingue les usages contre-hégémoniques des identités par les groupes opprimés des usages hégémoniques des identités. Par ailleurs, comme Kimberlé Crenshaw nous le rappelle déjà en 1991 l'anti-essentialisme ne sert pas forcément des finalités progressistes et de justice sociale et peut très bien être mis au service des forces réactionnaires protectrices des privilèges, comme c'est le cas dans la délégitimation par la droite républicaine des politiques d'accès à l'égalité (affirmative action).7 Ainsi, l'anti-essentialisme peut très bien être un outil de délégitimation des mouvements de justice sociale qui mobilisent des identités pour formuler leurs demandes, ainsi que des politiques d'équité. L'intersectionnalité ne doit pas être confondue avec cette posture. Un tel amalgame peut aussi conduire à d'autres formes de délégitimation. Je donnerai en exemple une situation que j'ai observée lors d'une conférence où une chercheure française blanche affirme dans sa présentation la non pertinence de la culture, de la différence culturelle, dans les recherches et les politiques luttant contre les violences faites aux femmes. Elle insiste sur les dangers de l'essentialisme culturel qui dériverait dangereusement vers le culturalisme et le racisme culturel, si on se focalise sur la culture de l'autre, du minoritaire. Pendant la période d'échange, elle reçoit deux réactions, avec beaucoup de prévenance, de la part de deux chercheures africaines, du Cameroun et du Sénégal. Celles-ci font valoir que la violence faite aux femmes dans leurs sociétés est profondément ancrée dans la culture qui sert dans beaucoup de cas à légitimer la violence. Selon elles, écarter cette fonction normalisatrice de la violence que la culture joue dans ce contexte n'aiderait en rien aux luttes de ces femmes. La conférencière répond, comme si ces dernières n'étaient pas intervenues. Elle répète sa ligne argumentaire, que la prise en compte de la culture conduit inévitablement à l'essentialisme culturel et aux stéréotypes racistes. Elle se prévaut de la perspective intersectionnelle ou sa proche parenté française, ce qu'elle nomme l'articulation des rapports sociaux, comme le principe qui guide son étude. Cet échange me laisse perplexe; je me demande quand au juste l'intersectionnalité est devenue un obstacle à entendre l'autre, alors même qu'elle était supposée améliorer notre capacité d'écoute de l'autre ou comme dirait Les Back, notre "oreille sociologique". Utiliser l'intersectionnalité pour dire que tout intérêt porté à la culture ouvre la dérive vers le culturalisme est faux. Il existe des travaux intersectionnels qui problématisent la culture majoritaire aussi, par exemple "la culture du viol" (par exemple dans les campus universitaires aux Etats-Unis) comme climat dominant qui conduit à blâmer la victime (par son comportement, par ses vêtements, elle l'aurait cherché), à minimiser, voire à excuser, le viol. La question de l'émiettement des luttes en pose aussi une autre, celle de la construction des solidarités viables entre les luttes. Pour beaucoup de chercheurs et militants qui s'intéressent à cette question, le versant politique de l'intersectionnalité est coalition politics , les politiques de coalition, un sujet sur lequel il y a beaucoup d'écrits. La question est épineuse et ne date pas d'hier; elle renvoie aux rapports de force qui sont au cœur de la représentation. L'idée des solidarités intersectionnelles poursuit un idéal des collaborations non-oppressives et problématise les déclarations d'ouverture, d'inclusion et de "générosité": qui est appelé à joindre le mouvement ? Selon les termes établis par qui? En d'autres mots, sur le dos de qui sont construites les coalitions? L'anthologie bien connue This Bridge Called My Back, des féministes de couleur (Chicana, Black, Latina, Native American, Asian American) publiée en 1981 (Persephone Press) fait directement allusion à cela; le poème intitulé "The Bridge Poem" de Donna Kate Rushin (voir le dernier numéro des Cahiers du CEDREF, dirigé par Paola Bacchetta et Jules Falquet, pour une traduction en français) capte magistralement le poids inégalement partagé, le travail émotionnel (emotional labour) des coalitions. Cette question n'est pas à débattre entre académiques mais à travailler concrètement à travers et au-delà des divisions des mouvements, des séparations et hiérarchisations des milieux académiques et militants. Elle implique une éthique d'alliance et de coalition non-oppressive, une vigilance permanente et autocritique des pratiques qui ne sont pas à l'abri de mauvaises représentations, de confiscations de la parole, d'inclusion instrumentale (tokenism) etc., aussi bien intentionnées qu'elles puissent être. Les exemples sont multiples –j'en ai discuté de quelques uns dans "Developing Intersectional Solidarities" (2012, voir le lien internet). Je suis impliquée dans des réseaux regroupant des chercheurEs et des militantEs et je tâche de contribuer à une meilleure compréhension des enjeux qui entourent la question des politiques de coalition en faisant entrer, avec d'autres, ces problématiques (vues comme trop) militantes dans les lieux où elles ne figurent pas d'habitude. J'ai par exemple organisé cette année deux sessions regroupant militants et universitaires.8 Lire la deuxième partie de l'entretien 1 Voir par exemple l'étude empiriquement bien appuyée de Jane Ward (Respectably Queer: Diversity Culture in LGBT Activist Organizations, Vanderbilt UP, 2007) sur la cooptation de l'intersectionnalité pour accroitre la compétitivité de son organisme dans le contexte actuel fusionnant les valeurs économiques néolibérales avec un programme progressiste de diversité/équité libéral fondé sur les droits de la personne. 2 Pour un examen détaillé de cette double dynamique, voir prochainement Bilge (sous évaluation). 3 Voir Bilge (sous évaluation) ainsi que ma conférence en plénière "Intersectionnalité à l'heure et à l'épreuve de la culture de diversité" donnée dans le cadre du 6ème Congrès international des recherches féministes francophones, Imbrication des rapports de pouvoir : Discriminations et privilèges de genre, de race, de classe et de sexualité. Université de Lausanne, 29 août-2 septembre 2012. Lausanne (qui doit être mise en ligne). 4 Voir par exemple Crenshaw, Kimberlé. 2011. "Postscript", dans Helma Lutz, Maria Teresa Herrera Vivar & Linda Supik (eds). Framing Intersectionality. Debates on a Multi-Faceted Concept in Gender Studies. Ashgate. Pp. 221-233; Patricia Hill-Collins communication personnelle avec l'auteure (septembre 2012), aussi pour une brève discussion de la transformation de l'intersectionnalité dans l'académie néolibérale, voir Collins, Patricia Hill. 2009. "Foreword. Emerging Intersections: Building Knowledge and Transforming Institutions!", IN B. Thornton-Dill et R. Enid-Zambana (eds) Emerging Intersections. Race, Class and Gender in Theory, Policy and Practice,. New Brunswick, NJ: Rutgers UP, VII-XIII. 5 Goldberg, David Theo, 2009. The Threat of Race. Reflections on Racial Neoliberalism (Wiley-Blackwell), p. 154, ma traduction. 6 Voir Collins, Patricia Hill, 2000, Black Feminist Thought: Knowledge, Consciousness, and the Politics of Empowerment. 2nd ed. Routledge; 2009, Another Kind of Public Education. Race, Schools, the Media and Democratic Possibilities. Beacon Press. 7 Voir Crenshaw, Kimberlé. 1991. "Mapping the Margins: Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color." Stanford Law Review, vol. 43: 1241-1299. 8 Par exemple, le panel "Confronting the racial habitus of multi-issue politics and of being 'white allies' " que j'ai organisé dans le cadre de la 9ème conférence internationale Crossroads in Cultural Studies (Paris, 2-6 juillet 2012), ou encore la session "The ethics of intersectional politics and the challenges to alliances and coalition building in and outside academe" que j'ai organisé dans le cadre de: 2nd International Sociological Association’s World Forum of Sociology World Forum of Sociology: Social Justice and Democratization (Buenos Aires, Argentine, 1-4 Août 2012) qui a permis une discussion de ces questions avec des perspectives Nord/Sud.
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Pendant cette dernière trentaine d'années de l'ouverture et de la réforme économique du pays, la Chine a connu un grand changement social et un développement économique rapide. Depuis cette période, les femmes chinoises sont confrontées aux conflits entre l'invasion de nouvelles idées progressistes et la persistance des idées traditionnelles. À mesure que le statut des femmes chinoises s'améliore et que de plus en plus de jeunes filles peuvent accéder à l'enseignement supérieur, la société chinoise a plus d'attentes envers les jeunes femmes instruites et aussi plus d'exigences dans la sphère publique. Mais en même temps, la société leur impose toujours plusieurs autres contraintes traditionnelles. Ainsi, les présents travaux s'intéressent à l'analyse des représentations sociales des jeunes étudiantes chinoises qui sont nées après 1980 et qui vivent dans la société chinoise contemporaine. Dans cette recherche, nous avons effectué des entrevues semi-directives avec 15 étudiantes chinoises dont le questionnement porte sur les pratiques sexistes auxquelles ces étudiantes sont confrontées dans leur vie sociale, ainsi que sur leurs attitudes envers ces phénomènes sociaux, sur les conditions de leur éducation familiale, sur leur perception des rapports de genre et sur leur plan de vie. À travers la communication avec ces 15 étudiantes, nous avons constaté leur difficulté de concilier divers systèmes de valeur et différentes attentes sociales, ainsi que leur dilemme entre la volonté de vivre de manière autonome et les contraintes sociales traditionnelles. En telle circonstance, les jeunes femmes chinoises d'aujourd'hui se retrouvent souvent placées en situation de dissonance. ______________________________________________________________________________
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L'intention de cette recherche consiste à analyser, au travers des pratiques d'articulation emploi-famille mises de l'avant par des parents employés et des stratégies de gestion retrouvées dans leurs milieux de travail, les effets concourant à la reproduction ou au dépassement de la division sexuelle du travail. En s'appuyant sur une sociologie du travail combinée à une perspective d'analyse féministe, il est question de l'évaluation actuelle de la construction sociohistorique de la problématique de l'articulation entre les activités familiales/domestiques et les activités de travail rémunérées. L'analyse de six mesures d'articulation emploi-famille (congés parentaux, services de garde, réduction de la semaine de travail, télétravail ou flexibilité du lieu de travail, aménagement du temps de travail ou reprise des heures, banques de congé) au sein du département des technologies d'une TGE située à Montréal s'est soldée par la constatation de la préséance des aménagements entre les parents et de demandes traitées au cas par cas par les superviseurs-es. Les demandes formulées par les parents, tout comme les stratégies de gestion des ressources, sont consolidées autour de la réduction des effets du recours aux mesures d'articulation emploi-famille sur le rendement de l'équipe de travail. Les permissions octroyées visent principalement à minimiser les contraintes de gestion pour les superviseurs-es lors de demandes d'absences ponctuelles du milieu de travail en ayant recours, notamment, au travail intérimaire et au transfert des connaissances lorsque les employés-es doivent s'absenter pour une période plus longue Par ailleurs, le regard que nous portons sur des mesures d'articulation emploi-famille utilisées spécifiquement par les hommes ainsi que les problèmes rencontrés par les parents lorsqu'ils font appel à un service de garde, contribue à documenter une réalité qui reste peu connue du point de vue qualitatif. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : articulation emploi-famille, stratégies de gestion, parents, congés parentaux, services de garde, télétravail, réduction du temps de travail, division sexuelle du travail, rapports sociaux de sexe, travailleur-libre, conjointe-ménagère
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De la cuisine au studio explore les parcours de douze artistes issues de trois générations différentes : femmes signataires du manifeste Refus global en 1948, premières cinéastes qui ont œuvré à l’ONF dans les années 1970 et artistes médiatiques impliquées au Studio XX. À partir d’entrevues avec les artistes, Anna Lupien pose un regard sociologique sur l’expérience de créatrices qui ont investi l’art en tant qu’espace d’expression dans la sphère publique. De quelle façon ont-elles élaboré des stratégies créatives et par le fait même donné corps à des transformations sociales engendrées par le mouvement féministe, notamment en ce qui a trait à la conciliation travail-famille ? Comment ont-elles intégré des milieux artistiques qui ne leur étaient pas ouverts d’emblée ? Comment se sont-elles engagées pour le bien commun à travers leur parcours artistique ? Les histoires de ces artistes – Madeleine Arbour, Christine Brault, Mireille Dansereau, Dorothy Todd Hénaut, Stéphanie Lagueux, Bérengère Marin-Dubuard, Helena Martin Franco, Terre Nash, Anne-Claire Poirier, Françoise Riopelle, Bonnie Sherr Klein et Françoise Sullivan – témoignent des luttes inachevées du mouvement féministe et des brèches qu’elles ont pratiquées dans l’ordre des choses, suscitant des rencontres originales entre l’art et le politiqu
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Genre et rapports sociaux de sexe Le mouvement des femmes a été à l'origine d'une effervescence théorique qui s'est traduite par la production d'un corpus de concepts extrêmement riche. Par exemple ceux de patriarcat, de mode de production domestique, de travail domestique, de travail productif et reproductif et de division sexuelle du travail, sans compter ceux de sexe social, sexage ou classe de sexe. Par ailleurs, les concepts de genre et de rapports sociaux de sexe se sont inscrits durablement dans le paysage. De nombreuses théoriciennes qui se reconnaissent dans le courant matérialiste cherchent à penser les rapports entre les sexes en privilégiant leurs fondements matériels, notamment économiques, sociopolitiques, voire physiques sans négliger pour autant les dimensions symboliques. La manière dont la séparation et la hiérarchisation entre hommes et femmes sont produites se trouve au coeur de leurs réflexions. Ces élaborations ont permis de rompre avec l'idéologie de la complémentarité « naturelle » des sexes, de penser les rapports antagoniques entre le groupe des hommes et celui des femmes dans le but de les transformer. C'est à la présentation de ce corpus de concepts qu'est consacré le présent volume. L'objectif est de rendre compte de la diversité, de la richesse et des limites des analyses produites ainsi que de rappeler quelques-uns des débats, controverses et divergences qui ont traversé le mouvement des femmes.
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Dans ce chapitre extrait de son ouvrage Black Sexual Politics (2004), Patricia Hill Collins s’intéresse à la nouvelle configuration de la question raciale aux États-Unis, qu’elle nomme le « Nouveau Racisme ». Il s’agit d’une logique discriminante, dans une Amérique post mouvement des Droits civiques, qui ne place plus uniquement le biologique comme facteur explicatif d’une prétendue déviance des Noir.e.s mais qui justifie davantage l’exclusion et le contrôle d’une large partie de celles-ci en arguant et en se basant sur des facteurs culturels. La culture populaire noire constitue alors un espace stratégique de lutte pour la définition de l’identité noire. En examinant notamment les représentations de genre racisées (black gender ideology) produites dans la musique rap, en lien avec les médias de masse, la sociologue américaine interroge plus généralement la compréhension de l’identité noire par la société américaine, qui reste toujours hantée par l’histoire de l’esclavage.
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Depuis quelques décennies, la société québécoise a été traversée par plusieurs transformations sociales déclenchées par le mouvement féministe et par le mouvement des femmes. En l'espace de quelques générations, à travers une série de luttes pour l'égalité, pour la liberté et pour l'autonomie, les femmes sont parvenues à remettre en question leur assignation à la sphère domestique et à prendre une place grandissante dans la sphère publique. Au fil des parcours d'artistes québécoises de trois générations liées à différentes mouvances artistiques, ce mémoire de maîtrise pose un regard sociologique sur les processus à travers lesquels des femmes ont investi l'art comme espace d'expression dans la sphère publique. La question est abordée sous l'angle des stratégies créatives qui ont pu être imaginées individuellement et collectivement par des femmes au cours des dernières décennies pour transformer les rapports sociaux ou pour composer avec les limites posées par les modèles dominants afin de développer une pratique sociale à l'extérieur des limites de la domesticité et de s'engager dans la sphère publique. La reconfiguration du rapport privé/public est ainsi abordée à partir des trajectoires de trois générations d'artistes québécoises, soit les femmes signataires du manifeste Refus global publié en 1948, les premières cinéastes qui ont œuvré à l'ONF dans le cadre de Studio D et de la série En tant que femmes au cours des années 70 et 80, et les artistes impliquées au Studio XX, centre d'artistes féministe voué aux arts technologiques créé en 1995. La réflexion s'articule autour de trois principaux volets. Le premier traite des positions occupées par les femmes dans le champ de l'art, d'une part en tant que sujets créateurs, et d'autre part en tant que sujets des œuvres. Le deuxième volet aborde la créativité déployée par les femmes pour investir des espaces d'expression qui ne leur étaient pas ouverts d'emblée et pour combiner leur vie de femme avec leur vie d'artiste. Il est ainsi question des tactiques, stratégies et autres bricolages du quotidien qu'elles ont élaborés pour développer et maintenir leur pratique artistique tout en composant avec les défis liés au monde de l'art ainsi qu'aux structures sociales des rapports de sexe. La troisième partie de l'analyse porte sur les différentes rencontres entre l'art et le politique provoquées par les démarches des trois générations d'artistes interviewées et sur la façon dont elles ont pu investir l'art comme espace original d'expression et d'engagement dans la sphère publique. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : art et société, engagement social, représentations sociales, créativité, privé/public, féminisme, transformations sociales, rapports sociaux de sexe.
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Ce livre offre un panorama critique et ordonné de l'énorme littérature sur les mouvements sociaux. Au-delà d'un exposé des théories, il éclaire des questions très pratiques : pourquoi certains groupes se mobilisent-ils plus facilement ? En quoi les mobilisations révèlent-elles des problèmes parfois négligés par les autorités politiques ? Pèsent-elles sur les politiques gouvernementales ? Quel rôle les médias jouent-ils dans les mobilisations ? Comment l'Etat tente-t-il de les " domestiquer " ? Ce sont aussi des enjeux politiques et scientifiques brûlants qui sont abordés : le cybermilitantisme, la place croissante d'ONG et de réseaux internationaux annoncent-ils un nouveau répertoire protestataire ? Les mouvements éclipsent-ils les partis ? Comment penser les émotions dans la mobilisation ?
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En 1980, lors de la conférence de la National Women’s Studies Association qui s’est tenue à Bloomington, Indiana, j’ai assisté à une présentation sur « Les femmes dans l’islam » au cours de laquelle je suis intervenue vivement, depuis ma place dans le public, car les intervenantes invitées, trois femmes arabes, présentaient, selon moi un tableau idéalisé de la situation des femmes dans l’islam. Les sociétés islamiques se distinguaient peut-être même plutôt – c’est en tout cas ce que je pensais à l’époque – par le fait qu’elles plaçaient sans équivoque les femmes sous le contrôle des hommes et par le fait qu’elles accordaient aux hommes, de façon tout aussi explicite, le droit à une sexualité et le droit d’exploiter les femmes. Comme le soutenaient les intervenantes, à son avènement l’islam avait apporté un certain nombre de progrès positifs pour les femmes en Arabie. Il avait également accordé certains droits aux femmes tels que le droit à la propriété (qui, en Occident, ne fut accordé aux femmes qu’au dix-neuvième siècle et qui n’est d’ailleurs toujours pas accordé aux femmes selon, parexemple, la loi rabbinique, tout comme le droit de témoigner). Et on ne pouvait certainement pas dire que l’islam était plus malveillant à l’égard des femmes que les deux autres religions monothéistes. Cependant, il me semblait que cela ne justifiait en rien le fait de minimiser la position d’approbation flagrante qui est celle de l’islam en ce qui concerne la supériorité des hommes et le contrôle exercé par ces derniers sur les femmes. Ni d’ailleurs le fait d’occulter les difficultés rencontrées par les femmes, en particulier en ce qui concerne les lois sur le mariage, le divorce et la garde des enfants. Cet article est la traduction de : « Western Ethocentrism and Perceptions of the Harem », Feminist Studies, vol. 8, n°3, autumn 1985, p. 521-534. Cet article a été écrit en 1982 donc avant la disparition de l’Union Soviétique qui date de 1992.
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L'étude porte sur la question de la scolarisation des femmes et de l'éducation scolaire des filles et sur certains aspects socioculturels relevant des pratiques sociales qui entraveraient profondément la réussite scolaire des filles et excluraient les femmes du système éducatif formel. Sur le plan méthodologique, trois techniques d'investigation ont été utilisées: une étude documentaire, un questionnaire et des guides d'entrevues ont été soumis aux femmes et à des personnes ressources. Les résultats obtenus révèlent ce qui suit: 1. La division sociale du travail entre les hommes et les femmes, qui attribue aux femmes les travaux domestiques, les soins aux enfants, les élever, initier les filles aux valeurs traditionnelles, etc. n'est établie que sur les principes de la nature et de l'apparence physique de celles-ci. Étant donné qu'initialement, les femmes sont considérées comme le sexe ayant les aptitudes à pouvoir assumer facilement ces types de responsabilités. 2. Le système de la dot et les procédures du mariage selon le milieu, qui ont pour fondement la politique du système patriarcal, apparaissent comme une dette, un crédit à rembourser par le biais des divers services que les femmes rendent à leur mari et aux familles. En tel cas, pour s'accommoder aux normes sociales, pour se faire apprécier, les femmes adoptent certains comportements qui souvent les empêchent de jouir pleinement de leurs droits. 3. Le complexe d'infériorité par rapport aux hommes que les femmes intériorisent et transmettent aux filles, favorise généralement l'adoption d'une attitude de soumission totale, sinon d'esclavage, par celles-ci à l'égard de leur mari et des hommes en général. Ainsi, par peur d'être mal vu par la société, d'être jugées par leurs pairs, les femmes en viennent à accepter sans condition leur situation de dominées, d'exploitées et d'exclues du système scolaire. Pour y remédier, nous avons proposé des stratégies d'action axées sur la sensibilisation auprès des femmes par rapport à leurs droits fondamentaux, l'éducation des enfants sur une base équitable et l'application de programmes d'actions à l'endroit des différents acteurs et de la population. La prise en compte et la réalisation de ces approches de solution pourraient contribuer à améliorer les conditions pénibles de la surcharge du travail des femmes, à remédier aux conditions scolaires difficiles des filles, favorisant ainsi leur maintien aux études de même que leur réussite. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Patriarcat, Division sexuelle du travail, Rapports sociaux de sexes, Domination, Genre.
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L’argument central de cet article, c’est que la théorisation des rapports constitutifs des classes de sexe est essentielle à l’appréhension de la catégorie femmes, tant dans son hétérogénéité que dans son homogénéité. J’y montre comment et pourquoi cette approche, d’abord articulée par les féministes matérialistes en France, apporte une contribution capitale, voire indispensable. En cernant et en approfondissant le rapport constitutif de catégories, hommes et femmes, qui sont spécifiques et indissociables, le féminisme matérialiste échappe au substantialisme et au culturalisme, et parvient à surpasser l’apparente fragmentation des femmes. Aussi faut-il combiner, dans une analyse transversale enrichie, les apports des unes, les féministes postcoloniales, et des autres, les féministes matérialistes, pour saisir dans toute sa complexité une catégorie sociale aux articulations complexes et aux déterminations multiples.
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Ce volume reprend un ensemble de textes parus dans le no 30 de la revue Actuel Marx, Les Rapports sociaux de sexe, septembre 2001, épuisé en quelques mois et souvent redemandé par les lecteurs."--Avant propos.
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Les métiers du sexe sont faits de tâches, de techniques et de savoir-faire, comme tout travail. Or, la qualification de " travail " soulève des réticences et des oppositions qui empêchent d'approfondir l'analyse empirique, théorique et militante d'une question pourtant centrale pour les études genre et pour les mouvements féministes dans le monde entier. A la lumière de plusieurs études empiriques et ethnographiques, cet ouvrage a comme objectif de contribuer à ouvrir la boîte noire du " travail du sexe " et de rendre compte d'activités que, bien souvent, nous faisons mine de connaître sans pour autant comprendre ni les tâches qui les composent réellement, ni les rapports sociaux qui les structurent.