Votre recherche
Résultats 2 ressources
-
Ecrire Amantes, pour Nicole Brossard, c'est, nous semble-t-il, tenter de prouver que l'approche du délire est compatible avec l'esprit (cf. p. 13). Dans cette optique, la fiction pratiquée ne peut-être qu'"excès de réalisme". L'oeuvre, comme l'indique l'autrice, ne fait pas de confidences et cependant quelque chose est confié à la compagne-lectrice privilégiée, qui représente le lecteur, sans cesser d'exister. Un lecteur masculin, implicitement exclu, peut-il rendre justice à un tel ouvrage : "entre femmes, la mémoire revient comme une conscience". Il est en tous cas frappé par la façon dont l'abstraction ("excès de réalisme"?) y exerce son pouvoir ("toute vision est en soi mathématique de l'espace"), même si l'autrice multiplie les ancrages dans le réel (banalisé) d'un temps employé, et fait appel à un implicite émotif très fort ("l'expérience infligée au corps des femmes incite à la réalité"). Entre l'essai et le poème, ce texte manifeste une ligne de pensée ferme, l'allusion étant au service exclusif de la thèse. Mais la passion ("de l'intime au politique"), figure centrale de ce livre, fait plus souvent figure de rhétorique, que d'"opéra du dedans." Il s'agit de la poésie de Nicole Brossard, qui s'est imposée comme théoricienne et écrivaine féministe lesbienne et comme figure de proue des écrivain.e.s postmodernistes québécois.e.s. Son travail brouille les frontières entre fiction et théorie, subvertissant les fictions que le discours patriarcal a tissées sur la vie des femmes en travaillant avec les « réalités » de la vie des femmes qui se situent en dehors des codes de la fiction.
-
Comment parler de l’autre côté, se demanda Alice. Car, en fait de merveilles, elle avait découvert qu’elle était plus d’une, et qu’une seule langue ne pouvait signifier ce qui avait lieu entre elles. Il fallait pourtant essayer de se faire entendre. Alors, s’appliquant, elle reprit : Que dire d’une sexualité féminine autre ? Autre que celle prescrite dans et par l’économie du pouvoir phallique. Autre que celle encore et toujours décrite – et normalisée – par la psychanalyse. Comment inventer, ou retrouver, son langage ? Comment interpréter le fonctionnement social à partir de l’exploitation des corps sexués des femmes ? Que peut être, dès lors, leur action par rapport au politique? Doivent-elles ou non intervenir dans les institutions ? Par quel biais échapper à la culture patriarcale ? Quelles questions poser à son discours ? À ses théories ? À ses sciences ? Comment les énoncer pour qu’elles ne soient pas, à nouveau, soumises à la censure ou au refoulement ? Mais aussi : comment déjà parler femme ? En retraversant le discours dominant. En interrogeant la maîtrise des hommes. En parlant aux femmes, entre femmes. Questions – parmi d’autres – qui s’interrogent et se répondent dans plusieurs langues, sur plusieurs tons, à plusieurs voix. Déconcertant l’uniformité d’un discours, la monotonie d’un genre, l’autocratie d’un sexe. Innombrables les désirs des femmes, et jamais réductibles à l’un ni à son multiple. Le jour était déjà levé depuis longtemps. Une histoire n’en finissait pas d’imposer son ordre. De l’obliger à s’exposer dans une clarté un peu froide. Dans l’attente d’un autre matin, elle repassa derrière le miroir, et elle se retrouva entre elles toute(s). Luce Irigaray