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Christine Bard, professeure d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers. Conférence présentée dans le cadre du colloque « Regards croisés sur les antiféminismes » le 30 avril 2019 à l’Université du Québec à Montréal par le RéQEF et l’IREF.
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Avec Rachel Chagnon, membre de l'Institut de recherches et d'études féministes et professeure au Département des sciences juridiques.
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Alors que de plus en plus de chercheurs s'intéressent aux violences basées sur l'honneur (VBH), les personnes aux prises avec ce type de problématique décrivent plutôt leur réalité en termes de conflits familiaux. Ce projet vise à explorer ces conflits intergénérationnels liés à l'honneur chez les adolescentes et les jeunes femmes sud-asiatiques en s'interrogeant sur la manière dont elles se positionnent en contexte de conflits. Cette recherche se divise en trois objectifs spécifiques : examiner les positionalités occupées par les adolescentes et les jeunes femmes en contexte de conflits, développer une meilleure compréhension des situations autour des points de tension pouvant transformer un conflit en VBH et explorer la dimension de l'honneur et ses effets. Pour mieux saisir le point de vue des adolescentes et des jeunes femmes, notre recherche s'ancre dans le concept théorique d'honneur dynamique de Crook, ainsi que celui de positionalité translocalisationnelle tel que développé par Anthias et appliqué dans un contexte d'honneur par Withaeckx et al. Nous avons observé comment les adolescentes et les jeunes femmes se positionnent, mais également comment elles sont positionnées en situations de conflits. À partir d'une méthodologie qualitative exploratoire et d'un échantillon composé de six personnes et divisé en deux sous-groupes distincts (trois jeunes femmes ayant vécu des conflits s'étant résorbés et trois adolescentes ayant été exposées aux VBH), nous avons réalisé des entretiens individuels semi-dirigés fondés le récit de vie thématique et permettant de mettre en évidence les situations de conflits. Grâce à une analyse des contextes dans lesquels se déroulent les conflits, de la signification qu'ils possèdent et de l'impact du temps sur ceux-ci, nous développons une meilleure compréhension des situations pouvant les déclencher. Nos résultats révèlent que les principales zones de tension affectant les adolescentes et les jeunes femmes se situent autour de leur cheminement scolaire, de leur développement individuel à l'extérieur de leur domicile familial ainsi que de leur rapport aux garçons et aux fréquentations amoureuses. Les adolescentes et les jeunes femmes ont tendance à développer une perception plus individualiste de la réalité qui peut entrer en contradiction avec la vision du monde de leurs parents, qui privilégient généralement les intérêts familiaux. Devant ces perspectives parfois incompatibles, le temps peut diminuer ou augmenter l'intensité des tensions. Il représente également un élément favorable à l'émergence, chez les adolescentes et les jeunes femmes, de stratégies leur permettant de faire face aux conflits en évitant leur escalade. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : conflits intergénérationnels, honneur, violences basées sur l'honneur, jeunes femmes, adolescentes, Asie du Sud, deuxième génération, positionalité translocalisationnelle, intersectionnalité.
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Cette dissertation se penche sur les interactions entre le jazz, l'identité, la nation et la modernité durant le soi-disant âge d'or du jazz à Montréal (1925-1955). À la croisée de la musicologie, des études de la condition féminine (études féministes noires et méthodes de recherche féministes en particulier), des études des médias et des études culturelles, je propose une réécriture critique de l'histoire du jazz montréalais, attentive au rôle que les femmes racisées et ethnicisées ont joué dans le développement de la scène jazz, et plus largement dans la formation des identités, des plaisirs, et des sons de la modernité québécoise. Le statut particulier de Montréal comme ville-spectacle en fait un riche laboratoire pour étudier les relations de collaboration créative entre les artistes (musiciens.ennes, chanteurs.euses, danseurs.euses) actifs sur le circuit du spectacle de variété noir du début du XXe siècle. Cette recherche met également en lumière la relation discursive qu'entretiennent le jazz et le vice dans l'entre-deux-guerres québécois, en particulier quant à l'incarnation sexuée et racisée de la moralité. Finalement, cette dissertation présente la première écoute critique ainsi que les premières notes biographiques détaillées d'artistes féminines de jazz montréalaises telles que les pianistes Vera Guilaroff et Ilene Bourne, des ensembles féminins comme les Sœurs Spencer et le Montreal Melody Girls Orchestra, des danseuses et chanteuses de variété noires telles que Tina Baines Brereton, Bernice Jordan Whims, Mary Brown, Natalie Ramirez, et Marie-Claire Germain, ainsi que l'enseignante de piano Daisy Peterson Sweeney et les enseignantes de danse Ethel Bruneau et Olga Spencer Foderingham.
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L'approche intersectionnelle est en émergence dans les milieux de pratiques féministes. À l'aune de sa théorisation, la littérature, à son sujet, laisse entendre qu'elle serait profitable à la déconstruction de certains préjugés et qu'elle favoriserait une perspective plurielle dans les interventions sociales faites auprès de femmes immigrantes et racisées. Pourtant, on en connaît encore que peu sur ses usages. Que savons-nous sur la manière dont celle-ci peut s'intégrer aux différentes étapes du processus d'intervention dans les services professionnels œuvrant sur le terrain? Cette étude, de nature qualitative, traite de l'application de l'intersectionnalité dans les centres de femmes. Nous cherchions à connaître la manière dont celle-ci est intégrée par les intervenantes de centre de femmes avec les femmes immigrantes et racisées. Le premier objectif de notre recherche a consisté à repérer les dimensions intersectionnelles présentes dans les milieux d'interventions. En second lieu, nous avons tenté de cerner la pertinence et les contraintes de son utilisation. En nous inspirant de la méthode des récits de pratique, nous avons effectué des entrevues individuelles auprès de sept intervenantes des centres de femmes de Montréal qui travaillent avec des femmes aux prises avec diverses problématiques sociales. Dans cette recherche, la présentation de l'interprétation des résultats de notre analyse rend compte de la mise en pratique de l'intersectionnalité. On observe que cette approche offre une nouvelle compréhension des situations des femmes immigrantes et qu'elle permet de mieux composer avec les différences et les complexités des identités de celles-ci. On constate que sont mises en œuvre des stratégies en émergence dans les centres pour valoriser et légitimer le vécu des femmes racisées, lutter contre les préjugés et réfléchir à la posture sociale de l'intervenante. Or, on observe que des défis persistent dans l'intégration de l'approche intersectionnelle face à certaines problématiques spécifiques dans les processus d'intervention. L'on remarque que se détourner de l'attention de la domination du conjoint en violence conjugale n'est pas évident. L'analyse soulève des incohérences entre les éléments pris en compte et les moyens proposés pour parvenir à résoudre ce type de problème. Nous soutenons l'importance de poursuivre les recherches sur l'intersectionnalité en tant qu'outil d'intervention pour créer un espace inclusif dans les milieux féministes et soutenir les femmes immigrantes et racisées face au racisme et aux violences spécifiques portées à leur endroit. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : intersectionnalité, intervention féministe, travail social, stratégies d'intervention, centre de femmes, femmes immigrantes et racisées.
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Ce mémoire s'intéresse aux liens sociaux de femmes âgées qui habitent seules dans la région de Montréal. Il s'inscrit dans le cadre d'une recherche intitulée Vieillir et vivre seul-e : comprendre la diversité des expériences et repenser les pratiques, dirigée par Michèle Charpentier, professeure et titulaire de la Chaire de recherche sur le vieillissement et la diversité citoyenne de l'UQÀM. En tenant compte du vieillissement accéléré de la population québécoise, de la féminisation de la vieillesse et des multiples reconfigurations des liens familiaux au cours du dernier siècle, nous observons une croissance du phénomène de l'habitat en solo chez les aînées. De plus en plus de chercheurs s'intéressent aux facteurs de vulnérabilité du vivre seule ainsi qu'à l'impact de l'isolement social et des différentes formes d'exclusion qui peuvent y être associés. Voulant s'inscrire dans la mouvance du renouvellement des savoirs dans le champ de la gérontologie sociale, cette étude mobilise le cadre théorique de l'intersectionnalité pour observer les expériences et les représentations des liens sociaux de femmes aînées vivant seules. Six femmes, âgées de 73 à 87 ans, ont témoigné par le biais d'entrevues semi-dirigées. Les résultats permettent d'éclairer la trajectoire résidentielle de ces femmes et de comprendre comment elle peut être conditionnée par leurs parcours matrimoniaux et certaines conditions de vie. Ces résultats dévoilent l'imbrication des liens sociaux et des parcours résidentiels faits de continuité ou de mobilité/transitions. L'étude démontre l'importance accordée par ces femmes à la dimension sociale de l'habitat ainsi que la centralité des liens sociaux dans la quotidienneté. Elle permet de mettre en évidence la fragilisation des liens existant dans le grand âge tout autant qu'elle expose la grande variabilité des sociabilités d'une femme à l'autre. La discussion témoigne du besoin d'une plus grande diversification des moyens de rejoindre les femmes dans le domaine de l'intervention psychosociale et d'arriver à une prise en compte des modes de socialisation des femmes aînées. Les résultats exposent la pertinence de rendre davantage visibles les services sociaux à l'extérieur du circuit médical ainsi que dans les lieux fréquentés par ces femmes. Pour que les femmes puissent en bénéficier, nous témoignons de l'importance d'une offre de transport adapté à la flexibilité et à la diversité des besoins des femmes rencontrées. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Femmes âgées, grand âge, vivre seule, liens sociaux, intersectionnalité.
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In Living a Feminist Life Sara Ahmed shows how feminist theory is generated from everyday life and the ordinary experiences of being a feminist at home and at work. Building on legacies of feminist of color scholarship in particular, Ahmed offers a poetic and personal meditation on how feminists become estranged from worlds they critique-often by naming and calling attention to problems-and how feminists learn about worlds from their efforts to transform them. Ahmed also provides her most sustained commentary on the figure of the feminist killjoy introduced in her earlier work while showing how feminists create inventive solutions-such as forming support systems-to survive the shattering experiences of facing the walls of racism and sexism. The killjoy survival kit and killjoy manifesto, with which the book concludes, supply practical tools for how to live a feminist life, thereby strengthening the ties between the inventive creation of feminist theory and living a life that sustains it. https://www.saranahmed.com/
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La violence familiale en milieu autochtone est maintenant reconnue comme un problème sérieux dont les causes remontent à l'histoire de la colonisation, qui a drastiquement changé le mode de vie des Autochtones pour imposer le mode de vie occidental et les dictats de la société patriarcale. Le travail social a également joué un rôle dans l'histoire de la colonisation, les travailleurs sociaux étant souvent ceux mandatés par l'État pour retirer les enfants des familles. Les institutions et le système de santé et services sociaux sont souvent mal adaptés aux réalités autochtones. Par conséquent, le niveau de confiance des Autochtones envers les services supposés leur venir en aide est très faible. Cette recherche qualitative a été réalisée avec l'aide de lignes directrices de recherche avec les femmes autochtones et selon une approche collaborative et féministe. Un comité collaborateur formé de femmes de Mashteuiatsh a eu l'occasion de se prononcer sur chaque étape de la recherche et co-construire certains de ses outils. Une séance de consultation initiale dans la communauté et des échanges avec le comité collaborateur nous ont permis d'identifier les objectifs de recherche suivants : 1) Décrire et analyser les perceptions qu'ont les femmes Ilnu de la violence familiale; 2) Dégager les principaux besoins en lien avec la violence familiale dans la communauté selon le point de vue des femmes Ilnu; 3) Dégager les principales pistes de solutions envisagées par et pour les femmes Ilnu. Six entretiens individuels semi-dirigés ont été réalisés avec des femmes Ilnu et un entretien de type groupe focus a réuni deux autres participantes. Les données recueillies ont été analysées à la lumière des théories du féminisme autochtone et de l'intersectionnalité. Nos conclusions font état de la place du silence, de l'intersection des oppressions et de l'internalisation de la violence coloniale dans la compréhension du phénomène de violence familiale. La recherche aura également permis de parler du rôle de la solidarité et de penser à des actions féministes autochtones comme pistes de solutions culturellement appropriées. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Femmes autochtones, Ilnu, Mashteuiatsh, violence familiale, féminisme autochtone, intersectionnalité, recherche-action collaborative, travail social.
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Le phénomène des multiples disparitions et assassinats de femmes autochtones au Canada est révélateur de la violence systémique que vivent ces dernières. Suivant le constat que les recherches qui portent sur la violence et les femmes autochtones offrent généralement une compréhension limitée de ces réalités, ce mémoire vise à explorer une dimension peu abordée, soit la dimension idéologique, et plus précisément les pratiques discursives. Cette recherche exploratoire propose de répondre à la question suivante : Comment les femmes autochtones violentées, principalement celles qui sont disparues ou assassinées, sont-elles représentées à travers le discours médiatique francophone et quels sont les enjeux politiques d'une telle représentation? Pour ce faire, une recherche dans les bases de données a mené à la recension de 147 articles portant soit sur le phénomène général des disparitions et assassinats, soit sur les histoires spécifiques de deux femmes autochtones assassinées (Kelly Morrisseau et Tiffany Morrison). De ces articles ont été extraits les différentes thématiques abordées, permettant ainsi de répondre au premier objectif de cette recherche, soit de dresser un portrait des représentations médiatiques portant sur les femmes autochtones violentées, disparues ou assassinées. Dans un deuxième temps, une analyse foucaldienne du discours a permis de relever les régularités et les discontinuités ainsi que certaines procédures discursives permettant donc de répondre au deuxième objectif de cette recherche, soit de dégager et de reconstruire le discours porté par ces représentations. Cette analyse a mené au regroupement des énoncés en trois ensembles qui exposent l'articulation du discours médiatique portant sur les femmes autochtones violentées, disparues ou assassinées : « de mauvaises femmes », « une violence imprévisible », « analyse et solution policière ». Dans une perspective intersectionnelle, une critique de ce discours a été développée afin de réfléchir à ses enjeux matériels sur la situation des femmes autochtones ainsi que sur les discours et pratiques en travail social. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : représentations, discours médiatiques, femmes autochtones, violence, disparitions et assassinats, intersectionnalité, analyse du discours, travail social.
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Face à l'augmentation de l'arrivée au Québec de personnes originaires du Maghreb et à la montée de leur stigmatisation depuis le 11 septembre 2001, nous nous sommes intéressées aux expériences de violence conjugale vécues par les femmes de cette communauté. Nous cherchions à mieux comprendre le regard que posent des femmes immigrantes musulmanes d'origine maghrébine sur leur expérience de violence conjugale ainsi que le point de vue que posent sur ces femmes des intervenantes en maison d'hébergement dans le cadre de leur intervention. Cette recherche s'appuie sur une méthode qualitative d'entretiens semi-directifs avec trois intervenantes et de trois récits de vie de femmes et repose sur un cadre d'analyse intersectionnel dans une vision socioconstructionniste. Cette recherche a mis en évidence que 1) des femmes immigrantes musulmanes d'origine maghrébine peuvent accorder une grande importance au développement d'un lien de complicité avec les intervenantes ; 2) une d'entre elles a vécu des expériences de violence dans la sphère publique façonnant sa représentation de la violence vécue dans le cadre de la maisonnée ; 3) alors que la religion est vécue par les femmes rencontrées comme un soutien dans leur expérience de violence conjugale, elle est identifiée comme un obstacle à l'intervention par les intervenantes ; 4) selon les intervenantes, les pressions familiales vécues par les femmes pour rester ou retourner avec le conjoint les amènent à être ambivalentes alors que les femmes rencontrées en parlent en terme de difficulté mais n'ayant pas d'influence sur leurs choix ; 5) des femmes immigrantes musulmanes maghrébines peuvent ne pas se sentir prises en compte dans leur spécificité dans le cadre de leur séjour en maison d'hébergement. Ces résultats permettent d'entrevoir des avenues possibles pour de futures recherches se situant autour de l'ouverture à la diversité culturelle. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Femmes immigrantes, femmes musulmanes d'origine maghrébine, intervenantes, violence conjugale, intersectionnalité
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"Arts visuel" est l'un des soixante-six textes thématiques de cette encyclopédie explorent les reconfigurations en cours des études de genre. Trois axes transversaux organisent cette enquête collective: le corps, la sexualité, les rapports sociaux. Les inégalités liées au genre sont de plus en plus envisagées en relation avec celles liées à la classe sociale, la couleur de peau, l'apparence physique, la santé ou encore l'âge. Cette approche multidimensionnelle des rapports sociaux a transformé radicalement les manières de penser la domination au sein des recherches sur le genre. En analysant les concepts, les enquêtes empiriques et les débats caractéristiques de ces transformations saillantes, les contributrices et contributeurs de cet ouvrage dessinent une cartographie critique des études de genre en ce début de XXIe siècle.
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Confrontées à une société sexiste et raciste qui leur impose des images stigmatisantes d’elles-mêmes, les femmes noires des États-Unis n’en ont pas moins une longue histoire de résistances. Dans cet essai incontournable enfin traduit en français, Patricia Hill Collins nous offre une synthèse impressionnante de cette tradition d’oppression et de militantisme. La pensée féministe noire puise autant dans la littérature, les récits de vie, l’histoire militante, la philosophie sociale et politique, la sociologie critique que dans la culture populaire. Elle nous incite à penser non seulement les oppressions enchevêtrées, mais aussi les luttes passées et à venir. Ce livre donne accès à un savoir profondément ancré dans l’expérience irréductible des Africaines-Américaines; un savoir essentiel pour qui se préoccupe de justice sociale et pour un féminisme véritablement inclusif.
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Le féminisme académique entretient une relation ambiguë avec l’intersectionnalité qu’il encense et discipline du même souffle. Par un ensemble de discours et de pratiques, la pensée critique raciale est évacuée de l’appareillage actuel de l’intersectionnalité et les personnes racialisées comme productrices des savoirs intersectionnels se trouvent marginalisées dans les débats et les espaces académiques contemporains. La science sert souvent d’alibi dans de telles opérations. Ces dernières font l’objet de l’analyse de l’auteure qui les conceptualise en tant que blanchiment de l’intersectionnalité.
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Tout en étant précurseur d'un grand changement social, le mouvement des femmes aura permis de sortir la violence conjugale du domaine du privé et de la rendre visible dans la sphère publique. Au cours des années, les intérêts de recherche se sont peu à peu orientés vers le phénomène des enfants exposés à la violence conjugale (EEVC). À ce jour, l'ampleur et les conséquences de ce phénomène sont reconnues. Au Québec, plusieurs réponses tant politiques que sociales ont été mises en place afin de réduire l'incidence de l'exposition à la violence conjugale dans la vie des enfants. La reconnaissance de ce phénomène s'est faite à l'instar de deux discours majeurs, celui de la violence faite aux femmes et celui de la violence faite aux enfants. Or, nous constatons que le discours des EEVC est en émergence et que le point de vue des enfants sur les services reçus en raison de l'exposition à la violence conjugale est peu étudié. Par le biais d'une recherche qualitative et exploratoire, nous abordons le discours des EEVC à travers le récit de femmes qui ont reçu des services au cours de leur enfance en raison de l'exposition à la violence conjugale. Plus précisément, nous cherchons à explorer leur trajectoire dans les services et les répercussions qu'ont eues ces services dans leur vie. Sous le paradigme constructiviste, l'analyse des récits d'expérience repose sur les théories féministes et narratives. Les théories narratives nous permettent d'aborder l'expérience des EEVC à partir de la construction d'une histoire, de leur récit. Les théories féministes nous permettent d'analyser ces récits d'expérience selon une perspective de construction des rapports sociaux de genre. De même que l'influence des différents rapports d'oppression (genre, âge, famille) liés à « l'identité intersectionnelle » des EEVC. Nous avons recueilli cinq récits d'expérience. À la lumière des données étudiées, nous constatons d'une part que la trajectoire des participantes dans les services était fragmentée et qu'il y avait peu de mécanismes de collaboration entre les différentes sphères de services. D'autre part, nous observons que les services reçus ont eu des répercussions sur les relations familiales, amicales et amoureuses des EEVC, ainsi que sur la construction de leur identité. Nous concluons notre recherche avec des pistes de réflexions sur les pratiques à l'intention des EEVC. Nous pensons notamment qu'il est essentiel de travailler conjointement sur les différentes facettes de la violence conjugale. À cet effet, nous interpellons tous les acteurs-trices impliqués-es de près ou de loin auprès des EEVC à adopter une action concertée en matière de violence conjugale. En terminant, nous considérons que le discours des EEVC devrait être pris en compte dans l'élaboration des services et des politiques les concernant. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : enfants exposés à la violence conjugale, services d'aide et d'intervention, récits d'expérience, féminisme, cartes narratives
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Cet article consiste à situer la théorisation de la « consubstantialité des rapports sociaux » (Kergoat, 1978-2012) au regard des tensions qui traversent actuellement la réflexion sur l’articulation des systèmes d’oppressions. Prenant acte d’oppositions persistantes dans le champ de « la recherche intersectionnelle », il montre en quoi le concept de « consubstantialité des rapports sociaux », en raison du contexte dans lequel il s’enracine, se démarque d’autres cadrages existants. D’une part, il envisage l’imbrication des différentes oppressions depuis une compréhension dynamique des rapports de pouvoir. D’autre part, il se rattache au bagage théorique issu du féminisme matérialiste qu’il propose de retravailler plutôt que d’écarter les notions clés de l’héritage marxien que la vague culturaliste tend à évacuer. C’est finalement l’efficacité et l’actualité sociologique de cette conceptualisation des rapports de pouvoir et des relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres qui sont mises en évidence ici.
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The concept of intersectionality refers to the constructionist approach, which considers gender, class and race as categories of social inequality that cannot be added together but that intersect and construct each other. Social categories construct the social identities that affect what motivates people and how they operate. The question is how multiple identities come together in the context of crime? The paper reports the findings of a qualitative study that explored the concept of intersectionality when analysing crime. The study analysed the court files of Antillean women and girls living in the Netherlands and tried to find an explanation for their crime patterns in their struggle with their identity.
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Interrogeant la figure de la « féministe rabat-joie », cet article propose d’en explorer la négativité, aussi bien que la capacité d’agir dont elle est la promesse. Il s’agit ainsi, en repositionnant la pensée féministe comme critique de l’injonction au bonheur, de comprendre le sujet féministe en tant que sujet obstiné. L’obstination féministe est alors appréhendée comme le socle incertain d’une politique collective traduisant les émotions individuelles, la douleur ou la colère ressentie face aux injustices. Au-delà, la figure du sujet obstiné permet de saisir la façon dont, au sein des espaces féministes, les femmes noires ont pu être réduites à leur colère et désignées comme cause des divisions engendrées par le racisme. La position de sujet obstiné constituerait ainsi autant un lieu de tensions que de revendications politiques. https://www.saranahmed.com/
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(Entretien en deux parties avec la sociologue Sirma Bilge) Repolitiser l'intersectionnalité ! Première Partie Sirma Bilge est professeure agrégée au Département de Sociologie de l’Université de Montréal où elle poursuit des travaux sur l’intersectionnalité, les collusions contemporaines entre la gouvernementalité de l'immigration/l'intégration et les politiques de genre et sexualités à partir des perspectives théoriques critiques puisant dans l'intersectionnalité, les approches post-/dé-coloniales, Critical Race Theory et Queer of color critique. Elle est membre élu des conseils exécutifs des comités de recherche de l'Association internationale de sociologie (ISA) sur "Racisme, nationalisme et relations ethniques" (RC05) et "Femmes et société" (RC32), ainsi que l'éditrice associée du Journal of Intercultural Studies. Quelques publications récentes ou à venir sont: Bilge, Sirma (sous évaluation). "Intersectionality Undone: Saving Intersectionality from Feminist Intersectionality Studies", (K. Crenshaw ed.), special issue, Du Bois Review: Social Science Research on Race, Cambridge Journals. Bilge, Sirma (à paraître). "Racialized Governmentality: An Analytics of Accommodation. Reading the Racial Subtext of the Quebecois Accommodation Debate" Politikon. South-African Journal of Political Studies (accepté pour publication). Bilge, Sirma, 2012, "Mapping Quebecois Sexual Nationalism in Times of Crisis of Reasonable Accommodations" Journal of Intercultural Studies 33(3): 303-318. Bilge, Sirma & Paul Scheibelhofer, 2012, "Unravelling the New Politics of Racialised Sexualities: Introduction" Journal of Intercultural Studies 33(3): 255-259. Bilge, Sirma. 2012. "Developing Intersectional Solidarities: A Plea for Queer Intersectionality", in Malinda Smith & Fatima Jaffer (eds), Beyond the Queer Alphabet: Conversations in Gender, Sexuality and Intersectionality. Teaching Equity Matters E-book series, University of Alberta, Canada. http://www.fedcan.ca/en/blog/developing-intersectional-solidarities-plea-queer-intersectionalityx Bilge, Sirma, 2011, "De l’analogie à l’articulation : théoriser la différenciation sociale et l’inégalité complexe", L'Homme et la société, no. 176-177, 2010/2-3, 43-64. Bilge, Sirma, 2010a, "Beyond Subordination vs. Resistance: An Intersectional Approach to the Agency of Veiled Muslim Women", Journal of Intercultural Studies 31(1): 9-28. Bilge, Sirma, 2010b, " 'alors que nous, Québécois, nos femmes sont égales à nous et nous les aimons ainsi' : la patrouille des frontières au nom de l’égalité de genre dans une 'nation' en quête de souveraineté', Sociologie et Sociétés 42(1): 197-226. Bilge, Sirma & Olivier Roy, 2010c, "La discrimination intersectionnelle: naissance et développement d’un concept et les paradoxes de sa mise en application en droit antidiscriminatoire" Canadian Journal of Law and Society 25(1): 51-74. Bilge, Sirma & Ann Denis, 2010d, "Introduction: Women, Intersectionality and Diasporas", Journal of Intercultural Studies 31(1): 1-8. Bilge, Sirma, 2010e, "Recent Feminist Outlooks on Intersectionality", Diogenes no. 225: 58-72 (traduction de l'article publié en français en 2009). Bilge, Sirma, 2009, "Théorisations féministes de l'intersectionnalité", Diogène no. 225, janvier-mars: 158-176. 1) IRESMO : Les théories de l’intersectionnalité constituent un courant théorique important en particulier en Amérique du nord, alors qu’il s’agit d’un champ de recherche encore relativement peu développé en France. Comment définiriez-vous cette notion d’intersectionnalité ? Sirma Bilge : Afin de dégager les contours de ma propre compréhension de l'intersectionnalité ainsi que l'usage que j’en fais, je dois d'abord souligner l'importance que j'accorde à ne pas dissocier la "théorie" de l’action politique, car il s'agit à mes yeux d'un outil de lutte forgé dans l'esprit de l'aphorisme bien connu d'Audre Lorde: 'les outils du maître ne démantèleront jamais la maison du maitre' (master's tools will never dismantle master's house). Il s'agit donc d'une manière de penser et d'agir sur les rapports de domination, et ce au-delà de la dichotomie structure/culture. Profondément ancrée dans une perspective de justice sociale, sa prémisse de base, désormais bien connue du public averti, est le caractère enchevêtré des rapports de pouvoir, qui sont toujours dotés des spécificités spatio-temporelles, laquelle s'accompagne d'un engagement normatif de la prise en compte de ces imbrications tant dans la recherche que dans l'activisme, la diffusion des savoirs, la pédagogie, l'intervention auprès des pouvoirs publics (analyse des politiques publiques, des outils d'intervention) etc.. La dimension proprement scientifique de l'intersectionnalité doit rester, à mes yeux, étroitement lié à ce côté pragmatique et politique. Je dois insister sur ce point dans la mesure où je note une dérive de l'intersectionnalité, particulièrement marquée en contexte européen, vers un académisme abstrait, qui se complait dans des discussions d'ordre purement théorique voire méta-théorique sans prise avec la recherche empirique, ni avec ce qui se passe dans les milieux de pratique où l'intersectionnalité est (ré)interprétée et déployée à des fins diverses et pas forcément contre-hégémoniques1. Bien entendu, cette dérive doit être en soi un objet d'analyse intersectionnel qui interrogerait les conditions matérielles et idéelles qui sous-tendent son "introduction" (qui requiert souvent une traduction) dans un nouveau contexte national. Il faut demander quels sont les acteurs locaux qui bénéficient (sur le plan de leur carrière) de cette "introduction", quels savoirs locaux se trouvent légitimés par cette "nouveauté" et quels acteurs locaux et savoirs locaux se trouvent exclus ou marginalisés. Aussi, faut-il interroger les rapports de force en jeu dans la sélection même des auteurs et textes à introduire/traduire, qui seront en quelque sorte canonisés, mais aussi fossilisés du fait d'une réception académique ambivalente qui les honore et les neutralise politiquement d'un même souffle.2 Face à une circulation accrue et à grande échelle de l'intersectionnalité, qui ne se passe pas sans opportunisme, il me paraît indispensable de se pencher sur ces politiques d'introduction et de traduction, qui dans bien des contextes participent à la dépolitisation et au blanchissement de l'intersectionnalité.3 Ces pratiques d'appropriation et de détournement qui neutralisent l'intersectionnalité sur le plan politique sont devenues une préoccupation centrale pour moi, laquelle marquera, vous le constaterez, les réponses que je donnerai à vos questions. Quand en tant qu'universitaire étranger, on est invité à intervenir dans les débats sur l'intersectionnalité qui se déroulent dans un contexte national dont les enjeux locaux nous échappent en grande partie, il me semble qu'il faut être doublement attentif. Dans quel sens cette intervention sera-t-elle utilisée? Dans un sens qui empower ou disempower des savoirs subjugués et desacteurs marginalisés? Je crois avoir développé ces dernières années, à force d'expériences révélatrices, un plus grand sens de responsabilité et d'accountability (imputabilité) quant aux effets de mes propres interventions, si de façon involontaire, elles contribuent ou non à dépolitiser l'intersectionnalité et à la blanchir. Je pense qu'il faut repolitiser l'intersectionnalité, renouveler l'engagement normatif à son fondement comme praxis politique et confronter les tendances dominant les débats dans certains cercles universitaires qui l'éviscèrent littéralement de son potentiel politique. Il est d'ailleurs fort éloquent que deux figures clés de l'intersectionnalité, Kimberlé Crenshaw et Patricia Hill-Collins, avouent ne plus reconnaître ce qu'est devenu dans ces débats européens l'outil qu'elles ont contribué à forger avec d’autres féministes de couleur.4 Si l'intersectionnalité à l'européenne est devenue méconnaissable aux yeux de celles que nous considérons à juste titre comme les architectes de cette approche, cette situation découle pour une bonne partie de l'évacuation de la pensée critique raciale de l'appareillage de l'intersectionnalité dans ce contexte où elle est surtout utilisée au sein des gender studies encore largement dominé par un féminisme académique et institutionnalisé ne problématisant pas son habitus racial, le privilège blanc – un contexte caractéristique de ce que David Theo Goldberg nomme l'européanisation raciale où la race est le fondement tacite. Pour Goldberg, l'Europe commence à exemplifier "ce qui se produit lorsqu'aucune catégorie n'est disponible pour nommer une série d'expériences qui sont liées dans leur production ou du moins dans leur modulation historique et symbolique, de façon expérientielle et politique, aux arrangements et engagements raciaux"5. En prenant le cas de la France par exemple où mon intervention sera diffusée, si urgence est, elle se trouve à mes yeux non pas dans la question de oui ou non l'intersectionnalité participe à une fragmentation prétendue des luttes sociales en raison du travail de déconstruction et/ou des-essentialisation opérées par des théories poststructuralistes, mais bien comment elle peut servir pour sortir de l'impasse des luttes antiracistes libérales et de leur corruption actuelle par une politique de la droite ultra désormais devenue mainstream qui véhicule à grande échelle le mythe d'un "racisme anti-blanc", appelé "reverse racism" dans le contexte anglophone. Je suis ébranlée par la situation raciale actuelle où par exemple à l'Université de Texas à Austin, une étudiante blanche porte en toute légalité plainte contre l'administration universitaire en alléguant d'être victime de racisme anti-blanc, d'être discriminée en tant que blanche car elle ne peut pas profiter des mesures d'équité destinées aux groupes "historiquement désavantagés", alors même que dans la même université, des attaques racistes récurrentes, les ballons remplis à l'eau de javel, ciblent les étudiants non-blancs, ne conduisent pas à une sensibilisation générale que nous sommes loin d'être dans l'époque supposément post-raciale. La France nous fournit aussi matière à indignation, ce qui n'est pas pour moi une posture non scientifique, bien au contraire. Ainsi un ministre peut parler de l'inégalité des civilisations en toute impunité alors que des figures de lutte contre le racisme anti-musulman comme Houria Bouteldja ou Saïd Bouamama sont traduits en justice pour racisme anti-blanc. L'intersectionnalité, dans sa version non blanchie où l'analyse des rapports sociaux de race n'est pas optionnelle, rend possible une praxis antiraciste radicale qui s'impose dans ces contextes de déni ou de détournement. 2) IRESMO : Une des controverses qui anime ce champ de recherche consiste à s’interroger sur le fait de savoir si l’on doit le situer dans la continuité des théories post-structuralistes insistant sur les dimensions culturelles ou dans la filiation de la théorie marxiste centrée sur les rapports sociaux économiques. Comment vous situez-vous par rapport à cette question ? Sirma Bilge : Je ne suis pas convaincue que cette question soit une controverse centrale du champ d'études intersectionnelles du moins pas dans le contexte nord-américain et britannique où j'ai le plus de contacts. Recadrer l'intersectionnalité de telle façon qu'elle serait traversée, structurée par cette opposition entre le discursif et le matériel (la culture et l'économie) c'est faire fi de tout un pan de la littérature qui l'a dépassée. C'est aussi couper l'herbe sous le pied des groupes et mouvements de subalternes qui l'ont aussi dépassé dans leurs actions fondées sur les politiques de positionnalité (que l'on aurait tort de disqualifier comme identitaire ou essentialiste) mais luttant contre les discriminations structurelles: le PIR (Parti des Indigènes de la République) en est un exemple à mes yeux. Je refuse d'aligner ma pensée à ces dichotomies doxiques. Une manière non doxique et peut-être contre-hégémonique d'aborder cette question serait de ne pas la lire sous le signe de la controverse mais de la pluralité des perspectives qui se prévalent de l'intersectionnalité, et surtout de faire voir la littérature foisonnante qui dépasse cette dichotomie, en combinant dans leurs analyses non seulement le structurel et le culturel, mais aussi la dimension disciplinaire (qui doit beaucoup à Foucault et aux perspectives critiques de biopolitique et de gouvernementalité) et la dimension interpersonnelle d'inspiration plus interactionniste. On trouve ainsi dans les travaux de Patricia Hill-Collins, un analytique du pouvoir complexe, comprenant quatre domaines: structurel, culturel (ou hégémonique), disciplinaire et interpersonnel.6 Je ne peux discuter en détail ici de l'état avancé de la littérature intersectionnelle sur cette question, lequel est visiblement mal connu en France, si on se fie aux portraits approximatifs et caricaturaux proposés qui font faire/dire à l'intersectionnalité ce qu'elle ne fait/dit pas (par exemple réduire la classe à une catégorie identitaire ou encore comme catégorie discursive de classement); je me contenterai de faire allusion à un des sous-thèmes de cette vaste littérature, la justice reproductive, et de citer quelques ouvrages dont les analyses intersectionnelles dépassent de façon très convaincante et enrichissante le faux dilemme culture/structure: Dorothy Roberts Killing the Black Body: Race, Reproduction and the Meaning of Liberty (Pantheon Books, 1997); Ange-Marie Hancock The Politics of Disgust: The Public Identity of the Welfare Queen (New York University Press, 2004), et le livre magistral de Harriet A. Washington qui ne porte qu'en partie sur la question des droits reproductifs, Medical Apartheid: The Dark History of Medical Experimentation from Colonial Times to the Present (Doubleday, 2006). Les analyses proposées dans ces travaux allient l'exploitation (dans la plantation d'antan comme sur le marché du temps présent, en liberté ou en captivité –en prison) et la domination juridique, sociopolitique et culturelle –par exemple les liens entre les discours et représentations hégémoniques de la sexualité prétendue pathologique (hypersexualité) des jeunes femmes noires, de leur maternité supposée indigne, etc. sur les politiques et les pratiques d'aide sociale (welfare) qui les ciblent, sur le travail forcé, la stérilisation imposée... La complexité de cette littérature mérite d'être connue et reconnue pour en finir avec cette opposition (matériel/symbolique) qui confine la pensée dans un débat entre académiques où chacun s'enrôle dans une défense acharnée de son camp et n'hésite pas à caricaturer le camp adverse par le biais d'arguments de type "homme de paille" et ce dans une imprécision totale sans jamais clarifier qui sont au juste les auteurs/travaux illustrant la pensée dénoncée. L'intersectionnalité n'est pas la seule perspective à se trouver de cette façon sur la sellette; les idées reçues sur "queer" abondent aussi et sont véhiculées par les chercheur-e-s qui le taxent d'antimatérialisme, ce qui fait preuve d'une méconnaissance profonde de l'état des savoirs, par exemple du courant Queer of color critique qui s'inscrit dans une analyse foncièrement matérialiste. 3) IRESMO : Si les théories de l’intersectionnalité ont déconstruit l’unité des classes sociales, en particulier celle de la classe de sexe, pour autant peut-on considérer selon vous qu’elles conduisent à re-substantialiser des identités minoritaires par le biais de politiques de la reconnaissance ? A l’inverse, la déconstruction radicale des identités ne conduirait-elle pas à un émiettement sans fin des revendications et des luttes ? Sirma Bilge : La déconstruction des prétendues unités n'a rien de déplorable, et l'intersectionnalité n'est pas la seule à avoir contribué à cela: l'épistémologie féministe a bel et bien contribué à déconstruire l'unité (du sujet) de la connaissance avec la théorie du point de vue (standpoint theory) et des connaissances situées, le postcolonialisme a problématisé à juste titre les politiques de la voix et de la représentation (Qui parle? Qui est entendu? Qui est le sujet connaissant? Qui est l'objet de connaissance et de représentation?). Un premier point qui mérite d'être soulevé et confronté est que cet argument d'émiettement sans fin qui est fréquemment posé n'expose jamais son propre point d'énonciation (speaking position). C'est la lutte de qui au juste? N'y a-t-il pas dans cela un argument anxieux qui brouille sa propre politique de localisation et dissimule les rapports de force en jeu? En admettant qu'il y a émiettement, il y a lieu de demander pourquoi celui-ci serait sans fin. Les rapports de pouvoir socialement significatifs sont-ils sans fin? La réponse est non. Force est de constater que la "liste" des axes dont les analyses intersectionnelles tiennent compte depuis deux décennies est somme toute assez stable. Sans vouloir offenser qui que ce soit, je dois tout de même signaler que cette idée d'un émiettement sans fin contribue à véhiculer une vision caricaturale de l'intersectionnalité, l'image d'une liste de shopping qui finirait par un etc tourné en dérision, qui l'amalgame avec une déconstruction radicale qu'elle n'a jamais été, ni prétendue de l'être. Il faut à mon avis souligner à cet égard que l'intersectionnalité n'est pas à confondre avec un anti-essentialisme sans nuance, refusant catégoriquement tout essentialisme, fusse-t-il stratégique. Il est lieu de rappeler que les origines de l'intersectionnalité sont étroitement liées aux efforts de créer une position de sujet politique viable pour les membres des groupes qui ne sont pas représentés ou sont mal représentés dans les mouvements progressistes existants. Une posture anti-essentialiste sans nuance est très peu compatible avec la praxis intersectionnelle qui distingue les usages contre-hégémoniques des identités par les groupes opprimés des usages hégémoniques des identités. Par ailleurs, comme Kimberlé Crenshaw nous le rappelle déjà en 1991 l'anti-essentialisme ne sert pas forcément des finalités progressistes et de justice sociale et peut très bien être mis au service des forces réactionnaires protectrices des privilèges, comme c'est le cas dans la délégitimation par la droite républicaine des politiques d'accès à l'égalité (affirmative action).7 Ainsi, l'anti-essentialisme peut très bien être un outil de délégitimation des mouvements de justice sociale qui mobilisent des identités pour formuler leurs demandes, ainsi que des politiques d'équité. L'intersectionnalité ne doit pas être confondue avec cette posture. Un tel amalgame peut aussi conduire à d'autres formes de délégitimation. Je donnerai en exemple une situation que j'ai observée lors d'une conférence où une chercheure française blanche affirme dans sa présentation la non pertinence de la culture, de la différence culturelle, dans les recherches et les politiques luttant contre les violences faites aux femmes. Elle insiste sur les dangers de l'essentialisme culturel qui dériverait dangereusement vers le culturalisme et le racisme culturel, si on se focalise sur la culture de l'autre, du minoritaire. Pendant la période d'échange, elle reçoit deux réactions, avec beaucoup de prévenance, de la part de deux chercheures africaines, du Cameroun et du Sénégal. Celles-ci font valoir que la violence faite aux femmes dans leurs sociétés est profondément ancrée dans la culture qui sert dans beaucoup de cas à légitimer la violence. Selon elles, écarter cette fonction normalisatrice de la violence que la culture joue dans ce contexte n'aiderait en rien aux luttes de ces femmes. La conférencière répond, comme si ces dernières n'étaient pas intervenues. Elle répète sa ligne argumentaire, que la prise en compte de la culture conduit inévitablement à l'essentialisme culturel et aux stéréotypes racistes. Elle se prévaut de la perspective intersectionnelle ou sa proche parenté française, ce qu'elle nomme l'articulation des rapports sociaux, comme le principe qui guide son étude. Cet échange me laisse perplexe; je me demande quand au juste l'intersectionnalité est devenue un obstacle à entendre l'autre, alors même qu'elle était supposée améliorer notre capacité d'écoute de l'autre ou comme dirait Les Back, notre "oreille sociologique". Utiliser l'intersectionnalité pour dire que tout intérêt porté à la culture ouvre la dérive vers le culturalisme est faux. Il existe des travaux intersectionnels qui problématisent la culture majoritaire aussi, par exemple "la culture du viol" (par exemple dans les campus universitaires aux Etats-Unis) comme climat dominant qui conduit à blâmer la victime (par son comportement, par ses vêtements, elle l'aurait cherché), à minimiser, voire à excuser, le viol. La question de l'émiettement des luttes en pose aussi une autre, celle de la construction des solidarités viables entre les luttes. Pour beaucoup de chercheurs et militants qui s'intéressent à cette question, le versant politique de l'intersectionnalité est coalition politics , les politiques de coalition, un sujet sur lequel il y a beaucoup d'écrits. La question est épineuse et ne date pas d'hier; elle renvoie aux rapports de force qui sont au cœur de la représentation. L'idée des solidarités intersectionnelles poursuit un idéal des collaborations non-oppressives et problématise les déclarations d'ouverture, d'inclusion et de "générosité": qui est appelé à joindre le mouvement ? Selon les termes établis par qui? En d'autres mots, sur le dos de qui sont construites les coalitions? L'anthologie bien connue This Bridge Called My Back, des féministes de couleur (Chicana, Black, Latina, Native American, Asian American) publiée en 1981 (Persephone Press) fait directement allusion à cela; le poème intitulé "The Bridge Poem" de Donna Kate Rushin (voir le dernier numéro des Cahiers du CEDREF, dirigé par Paola Bacchetta et Jules Falquet, pour une traduction en français) capte magistralement le poids inégalement partagé, le travail émotionnel (emotional labour) des coalitions. Cette question n'est pas à débattre entre académiques mais à travailler concrètement à travers et au-delà des divisions des mouvements, des séparations et hiérarchisations des milieux académiques et militants. Elle implique une éthique d'alliance et de coalition non-oppressive, une vigilance permanente et autocritique des pratiques qui ne sont pas à l'abri de mauvaises représentations, de confiscations de la parole, d'inclusion instrumentale (tokenism) etc., aussi bien intentionnées qu'elles puissent être. Les exemples sont multiples –j'en ai discuté de quelques uns dans "Developing Intersectional Solidarities" (2012, voir le lien internet). Je suis impliquée dans des réseaux regroupant des chercheurEs et des militantEs et je tâche de contribuer à une meilleure compréhension des enjeux qui entourent la question des politiques de coalition en faisant entrer, avec d'autres, ces problématiques (vues comme trop) militantes dans les lieux où elles ne figurent pas d'habitude. J'ai par exemple organisé cette année deux sessions regroupant militants et universitaires.8 Lire la deuxième partie de l'entretien 1 Voir par exemple l'étude empiriquement bien appuyée de Jane Ward (Respectably Queer: Diversity Culture in LGBT Activist Organizations, Vanderbilt UP, 2007) sur la cooptation de l'intersectionnalité pour accroitre la compétitivité de son organisme dans le contexte actuel fusionnant les valeurs économiques néolibérales avec un programme progressiste de diversité/équité libéral fondé sur les droits de la personne. 2 Pour un examen détaillé de cette double dynamique, voir prochainement Bilge (sous évaluation). 3 Voir Bilge (sous évaluation) ainsi que ma conférence en plénière "Intersectionnalité à l'heure et à l'épreuve de la culture de diversité" donnée dans le cadre du 6ème Congrès international des recherches féministes francophones, Imbrication des rapports de pouvoir : Discriminations et privilèges de genre, de race, de classe et de sexualité. Université de Lausanne, 29 août-2 septembre 2012. Lausanne (qui doit être mise en ligne). 4 Voir par exemple Crenshaw, Kimberlé. 2011. "Postscript", dans Helma Lutz, Maria Teresa Herrera Vivar & Linda Supik (eds). Framing Intersectionality. Debates on a Multi-Faceted Concept in Gender Studies. Ashgate. Pp. 221-233; Patricia Hill-Collins communication personnelle avec l'auteure (septembre 2012), aussi pour une brève discussion de la transformation de l'intersectionnalité dans l'académie néolibérale, voir Collins, Patricia Hill. 2009. "Foreword. Emerging Intersections: Building Knowledge and Transforming Institutions!", IN B. Thornton-Dill et R. Enid-Zambana (eds) Emerging Intersections. Race, Class and Gender in Theory, Policy and Practice,. New Brunswick, NJ: Rutgers UP, VII-XIII. 5 Goldberg, David Theo, 2009. The Threat of Race. Reflections on Racial Neoliberalism (Wiley-Blackwell), p. 154, ma traduction. 6 Voir Collins, Patricia Hill, 2000, Black Feminist Thought: Knowledge, Consciousness, and the Politics of Empowerment. 2nd ed. Routledge; 2009, Another Kind of Public Education. Race, Schools, the Media and Democratic Possibilities. Beacon Press. 7 Voir Crenshaw, Kimberlé. 1991. "Mapping the Margins: Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color." Stanford Law Review, vol. 43: 1241-1299. 8 Par exemple, le panel "Confronting the racial habitus of multi-issue politics and of being 'white allies' " que j'ai organisé dans le cadre de la 9ème conférence internationale Crossroads in Cultural Studies (Paris, 2-6 juillet 2012), ou encore la session "The ethics of intersectional politics and the challenges to alliances and coalition building in and outside academe" que j'ai organisé dans le cadre de: 2nd International Sociological Association’s World Forum of Sociology World Forum of Sociology: Social Justice and Democratization (Buenos Aires, Argentine, 1-4 Août 2012) qui a permis une discussion de ces questions avec des perspectives Nord/Sud.
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