Bibliographie complète
Jouer Sur le Banc Les Filles Dans le Monde de L'improvisation.
- Walsh-Viau, Emmanuelle. (Auteur)
- Joubert, Lucie (Auteur)
Voir Mongrain p. 13
« Si elles se sentaient généralement encadrées et guidées dans le réseau secondaire, elles voient comment le milieu collégial ou universitaire n’est organisé qu’en façade. Que ce soit parce qu’aucun-e entreur-euses n’est engagé-e et que les jours-euses sont laissés-ées à eux-elles-mêmes ou parce que la personne engagée pour jouer ce rôle d’encadrement n,est elle-même pas encadrée par l’institution, cette absence de cadre ou de structure solide laisse place à des débordements ou à des comportements répréhensibles qui mènent un nombre surprenant de joueuses à quitter le milieu après des agressions, du harcèleemnt ou de l’intimidation (Mongrain : 13). P. 15
Reste la -grave – question des violences sexuelles dans l’univers de l’improvisation, qui déborde le cadre plus restreint du sexisme. Les années 1990, selon Zoomba Létourneau, constituent un tournant dans la prise de conscience en la matière : ‘’ une nouvelle génération entre en « clash » avec l’ancienne, car cette nouvelle cuvée fait de l’impro universitaire qui attirait parfois plus de public que la LNI. Cette confrontation crée des moments où les jeunes, gars et filles, confrontent les vieux, gars et filles, sur le sexisme, par exemple. […] Les accidents sexistes étaient isolés et expliqués en sortant de scène. C’est l’organisation qui était problématique. » (Zoomba Létourneau, dans Walsh, p. 128)
« Ainsi, dans le but d’améliorer la qualité et les conditions du jeu, et signe des temps, la LNI donne l’exemple et affiche maintenant une politique d’égalité des genres qui préconise « une approche visant à donner la priorité à l’autonomisation et au leadership des femmes et des filles [sic], à l’avancement de leurs droits et à la lutte contre les inégalités dont sont victimes les genres sous-représentés » ; qui plus est, la LNI affirme en faire « rapport une fois l’an au conseil d’administration ». Structurellement, donc, il semble que le message soit bien passé : il y a eu effectivement une mise en place de mesures considérables pour assurer aux improvisatrices une parité dans la représentation et des conditions de jeu plus équitables. » P. 130
«Désormais protégées symboliquement par des documents officiel,s les joueuses bénéficient en plus de recours légaux : une « politique de prévention du harcèlement psychologique ou sexuel au travail et traitement des plaintes » leur assure, en principe évidemment, une tranquilité d’esprit sur « les lieux de travail ; les aires communes; tout autre endroit et contexte où les personnes doivent se trouver dans le cadre de leur emploi (ex. : réunions, formateurs, déplacements, activités sociales organisées par l’employeur, lieux de diffusion, tournées) ; les communications par tout moyen, technologique ou autre ». Alignée sur la Loi sur les normes du travail, la LNI donne cette définition du harcèlement : « Une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désiré, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. » […] oublions aussi pour un instant la notion de salarié, pour ouvrir la perspective et réfléchir à la situation des autres joueuses en impro, non professionnelles et non rémunérées, plus seulement dans le cadre de la LNI, plus officielle, mais partout à travers le Québec : car c’est dans les ligues non professionnelles que l’on peut prendre la pleine mesure des problèmes qui restent à régler et de l’étendue de la mobilisation qu’ils suscitent ; c’est là que les bémols se mettent en travers de ces lendemains qui avaient l’air de chanter. » p. 131
« Clémence Demers en sait quelque chose, elle qui a essayé dès 2017, en ma compagnie, de brasser la cage du monde de l’impro sans parvenir à créer un vrai mouvement de contestation et de remise enquestion. Peut-être fallait-il un électrochoc comme #metoo pour que les langues se délient et que la honte change de camp.p. 131
On peut prendre la mesure de la mobillisation des filles en parcourant, entre autres, le numéro de la revue Réplique (vol. 2 n 2) consacré exclusivement à la place des femmes en improvistion théâtrale, sur Facebook, on a vu apparaître en 2020 la page Rudesse, allusion directe à la pénalité qu’un-e joueur-euse peut se voir attribuer lorsqu’il-elle se comporte de façon brutale physiquement ou verbalement, à l’égard d’un-e partenaire de jeu, de l’arbitre ou même du public. La page abordde de front la question et propose, d’une façon plus large, un canecas visant à permettre à toute organisation d’être proactive et d'établir, pour elle-même, une « politique anti-harcèlement au sein d’une ligue d’improvisation ». p. 132
« Rudesse propose un changement de perspective intéressant : alors que les politiques prédéfentes relevaient du haut de la hiérarchie (la direction recommande des changements à sa base), on remarque ici un appel à la mobilisation des joueuses et des joueurs elles/eux-mêmes : « Considérant qu’il n’y a pas d’autorité de de [sic] de genre dans le milieu de l’improvisation, nous croyons que chaque membre est responsable de s’assurer de l’application des mesures mises en place dans son environnement. » En d’autres termes, c’est assez d’attendre les actions des autorités ou du pouvoir officiel : il faut désormais prendre le problème à la racine et y voir au plus vite. » P. 132
« En effet, à ce titre, par envie d’être one of the boys peut-être, de me faire accepter (aimer?), j’ai déjà, par le passé, fermé les yeux sur des situations qui auraient mérité une réaction de ma part. Cette inertie, j’en suis consciente, participait de ce problème que vivent – surtout – les filles en impro. » p. 134
« Dans l’intervalle, les podcasts, les plateformes comme Instagram et autres sur lesquelles les gens de ma génération et les plus jeunes sont très actifs, fourmillent déjà d’informations à ce sujet. Protégé-e-s par des pseudonymes ou parfois à visage tout à fait découvert, les joueuses et les joueurs exposent leurs doléances : des joueuses/joueurs trans y expriment leur malaise à évoluer dans un univers binaire ; des joueuses/joueurs racisé-es se sont fait entendre durant la vague Black Lives Matter de l’été 2020, avant même le mouvement dénonçant les agressions sexuelles; d’autres racontent de l’intérieur les conditions dans lesquelles elles et ils ont performé dont certaines nous paraîtront maintenant bien familières : […] comment une fille s’est fait embrasser de force en pleine impro par un joueur qui s’en est vanté dans le vestiaire («Elle n’aurait pas voulu que je la frenche dans un party, la elle n’a pas eu le choix »). P. 135
Pour le moment, c’est bien en dehors des médias traditionnels que circule ce qu’il faudrait savoir sur les dessous de l’impro ; c’est loin des grands axes professionnels que se fomente une colère saine, nécessaire, de moins en moins facile à endiguer contre ce qu’on peut appeler une « culture de party », au collégial et à l’université surtout, qui ouvre grande la porte à toutes sortes de dérives comportementales dont les filles, majoritairement, font les frais. » (p. 135)
« Un autre exemple qui démontre que les improvisatrices sont souvent considérées de manière genrée est qu’elles sont souvent sexualisées. Non seulement elles sont considéreés selon leur correspondance aux standards de beauté, mais elles sont aussi considérées selon leur potentiel sexuel. Les joueuses ont nommé qu’elles étaient encouragées à embrasser des garçons, à avoir une attitude séductrice tandis que d’autres ont raconté qu’elles avaient été choisies dans une ligue, car des joueurs voulaient avoir des relations sexuelles avec elles. Certaines constataient aussi s’être souvent fait taper les fesses ou toucher les seins dans le cadre des improvisations (2020 :116) » [SM1] p. 136
« Les histoires de ce genre sont légion : je fais partie de celles qui se sont fait prendre les seins en pleine improvisation par un coéquipier qui voulait faire rire le public ; j’avais 19 ans, lui 29. Zoomba Létourneau a dû embrasser un joueur durant une impro parce qu’ils jouaient un couple : « Le public a compris en dix secondes qu’on jouait un couple, on n’avait pas à s’embrasser pour rendre le tout plus crédible », raille-t-elle, doucement. Salomé Corbo raconte pour sa part avoir été l’objet d’un pari entre joueurs, tous s’étant donné comme le but de la frencher pendant une impro (Le Fil #17). Cette anecdote nous ramène vers un des aspects les plus délicats et les moins reluisants du monde de l’improvisation : la convention y commande en effet de « dire oui » à toutes les propositions des autres joueuses et joueurs ; un acquiescement est la preuve qu’on est à l’écoute et qu’on accepte de travailler de concert avec l’autre. Qui plus est, souligne Corbo, « dans l’improvisation tu dois t’abandonner », mais cet abandon, ce lâcher-prise est beaucoup plus lourd de conséquences pour les joueuses. « Comme si on consentait à tout en impro. On n’a pas à consentir à rien. Tu as le droit de dire stop pendant une impro » (Le Fil #17). La question est cruciale en effet, car si les filles commencent de plus en plus tôt à s’intéresser à l’improvisation (ce qui, en soi, est une excellente nouvelle), elles sont dès lors confrontées à un double message : je peux dire non à ce qui me met mal à l’aise dans ma vie, mais je dois dire oui à tout durant le match ? C’est une impasse particulièrement genrée, qui contient en germe toute la question du pouvoir que l’on subit ou que l’on se donne […].» p. 137
Quarante ans plus tard, force est de constater que, si la société a bien évolué, le monde de l’impro- qui a beaucoup évolé aussi, tiennent à le préciser les joueuses (Robert 2020:122) - présente encore de sérieux défis pour les filles, assez sérieux pour les amener à déclencher à nouveau l’alarme et à s’organiser pour proposer des solutions et ouvrir enfin de véritables discussions : création de Rudesse, enquête sur les agressions sexuelles comises en dehors de l’improvisoire ou sur des gestes à caractère sexuel non sollicités posés durant les matchs, mise en place de politiques officielles et de pratiques concrètes visant à assurer à tout le monde un environnement de jeu sans violence ni sexisme. » p. 137-138
« Portées par des mouvements sociaux qui accompagnent leurs revendications, appuyées par des joueurs qui partagent leur malaise et leurs valeurs, soucieuses d’en finir avec les déterminismes des genres, les filles peuvent aussi compter sur de nouvelles plateformes de communication susceptibles de diffuser leur parole plus vite et plus loin. Malgré cela, les défis restent grands. » p. 138
Voir politique sur le harcèlement de la LNI